Lewis Shelby versus the World

i. please introduce yourself.




Du plus loin qu'il se souvienne, Lewis Shelby avait toujours été qualifié de loser, si bien qu'il était à présent persuadé qu'une imposante lettre "L" s'était greffée sur son front pour ne plus s'en défaire. Comme pour dissimuler cette condition embarrassante au reste du monde, il masque désormais une partie de son visage à l'aide d'une épaisse masse de cheveux châtains, et ses yeux en amandes fuient constamment les regards qu'il considère comme emplis de jugements.

Mais s'il est loin d'être sportif, cultivé ou charismatique, ce statut de loser n'est pourtant dû qu'à un cruel manque de motivation de sa part, une volonté de ne pas attirer l'attention, et à un fâcheux incident généré par son Anosmie. Ledit incident, qui s'était déroulé au collège, mettait en scène trois jeunes qui pensaient avoir inventé la farce du siècle en envoyant une boule puante sur Lewis. Ce dernier n'avait eu aucune réaction, étant bien incapable de sentir la moindre odeur, et il avait continué sa journée comme si de rien n'était jusqu'à ce que sa classe entière, dont le professeur, finissent par se plaindre. Il termina injustement chez le proviseur avec une heure de colle à la clef pour "offense à l'odorat collectif".

Ce fameux accident a provoqué chez Lewis une peur panique de la foule, c'est pour cette raison qu'il fuit désormais toute sorte de regroupement humain. En revanche il a beaucoup moins de mal à s'adresser à une seule personne, mais il va tout de même chercher à l'éviter dès que possible. S'il n'a pas le choix et qu'il doit faire face à ce cas de figure, il va automatiquement user de sarcasme pour instaurer une barrière entre lui et son interlocuteur.

Mais malgré cet éloignement volontaire de sa part vis à vis-à-vis de la société, Lewis ne se considère pas comme à plaindre, bien au contraire: il se complait dans son quotidien monotone, ces tête à tête avec lui-même et ses pensées vagabondes. Le monde dehors est trop complexe, trop formel, trop injuste.
Ainsi, il va aborder chaque jour de sa vie avec un formidable désintérêt.
Les seules personnes qui ont droit à un traitement de faveur de la part du jeune homme sont ses parents, Molly et Chris Shelby. Mais même s'il les aime sincèrement et qu'il tolère leur présence plus que celle de n'importe qui, il va tout de même chercher à les tenir le plus à distance possible, sa mère étant trop protective à son goût. Quant à Chris Shelby… C'est un psychologue dont le sujet favoris s'avère être son fils. Il va donc constamment chercher à le sortir de sa zone de confort et à le psychanalyser, pour le plus grand malheur de l'interéssé.
Pourtant, c'est grâce à son père et à l'une de ses fameuses "ruses" pour le tirer de son univers monocorde que Lewis a découvert une petite lueur d'enthousiasme dans sa vie, une unique source d'intérêt.

Le 15 octobre 1978, lors du neuvième anniversaire de Lewis, son père avait eu l'idée singulière de l'emmener voir un tout nouveau film qui faisait sensation auprès des critiques: Halloween.
Parfaitement conscient qu'il s'agissait d'un film d'horreur, Chris Shelby cherchait en fait à générer un électrochoc auprès de son fils, et lorsqu'il mentionna l'âge de ce dernier au moment d'acheter les billets, il bafouilla quelque chose qui pouvait tout aussi bien ressembler à "neuf ans" qu'à "dix-neuf ans". La personne qui gérait le guichet choisit d'entendre la deuxième option et ne fit aucune objection quant au fait qu'il ne voyait pas ledit fils, Lewis étant caché par le guichet.
Le jeune garçon et son père s'installèrent donc au premier rang dans la salle bondée, et Lewis se mit aussitôt à contempler l'écran encore vierge face à lui avec une désinvolture manifeste. Pourtant, lorsque les lumières s'éteignirent, que les murmures au sein des rangées de sièges se turent et que les premières notes du thème principal du film se firent entendre, l'intérêt jusque là absent de la vie de Lewis décida de faire son entrée, et il ne fut pas déçu: durant toute la séance, le jeune garçon fut submergé d'une vague d'émotions et d'adrénaline.
La peur palpable, les cris des spectateurs mêlés à ceux des victimes du film et la prestance du meurtrier masqué que rien ne semblait pouvoir arrêter marquèrent à jamais le jeune garçon.
À la sortie du film, son père, qui lui avait quand même caché les yeux durant plusieurs scènes, lui demanda si le film lui avait plus. Lewis haussa les épaules sans un mot, mais son père avait bien remarqué que son regard débordait d'étoiles et trahissait sa véritable opinion: il avait adoré.
Désormais son coeur palpitait d'une frénésie nouvelle, et dès lors il se découvrit une passion ardente pour les films d'horreurs, et plus particulièrement pour les slashers. "Halloween", "Friday the 13th", "A Nightmare on Elm Street" ... Tous ces films faisaient le bonheur de Lewis, qui ne pouvait s'empêcher d'admirer ces personnages masqués, ces monstres qui avaient décidés de faire fi des normes sociétales et qui parvenaient toujours à le faire frissonner.

Célibataire et sans emploi, le jeune homme resta jusqu'à ses vingt ans chez ses parents, aidant sa mère aux diverses tâches ménagères et passant le reste de son temps sur son lit à observer le plafond de sa chambre sans vraiment le voir, ou à visionner ces films d'horreur dont il connaissait à présent les moindres répliques.

Mais bien sûr une telle situation ne pouvait durer, et bientôt Chris et Molly Shelby prirent une grande décision: pour que leur fils perde son indifférence et son appréhension à l'égard de la vie, il fallait briser son quotidien et le contraindre à prendre son destin en main.
Ils louèrent donc un petit appartement situé à l'autre bout de Silver Grove dans lequel ils envoyèrent Lewis sans sommation, sans oublier de lui préciser qu'il lui incombait de payer le loyer.
Ils étaient certains qu'ils avaient pris la meilleure décision pour motiver leur fils à s'ouvrir enfin au reste du monde, et leur plan fonctionna effectivement à merveille durant le premier mois puisque Lewis, complètement désemparé par ce revirement de situation, fut bien obligé de parcourir les journaux et les rues à la recherche d'un emploi.
Il en trouva miraculeusement un à la poste, ou il fut chargé de livrer les courriers au sein de Silver Grove, mais au grand dam de ses parents, son avancée vers un futur plus glorieux s'arrêta là.

Avec ses économies le jeune homme parvient à s'acheter une petite télé sur laquelle il se remit à regarder en boucle ses films d'horreurs préférés, et désormais il ne quitte plus que son appartement pour faire les courses ou pour accomplir malgré lui son métier de facteur.


ii. mean streets of silver grove.

Silver Grove est le seul endroit que Lewis n'ai jamais connu, et pourtant cette ville chargée d'un aura mystique est encore une parfaite inconnue à ses yeux.
Néanmoins grâce à son métier de facteur, il apprend petit à petit à la connaître et gagne en repères un peu plus chaque jour. Mais s'il commence à prendre sur lui et à arpenter les rues de Silver Grove avec sérénité, il ne s'est jamais aventuré aux abords, là où la nature règne et où la forêt de pins murmure toute sorte de chose. Non pas que ça lui fasse peur, l'idée ne lui a tout simplement jamais effleurée l'esprit.

Concernant la populations de Silver Grove, moins Lewis la côtoie, mieux il s'en porte. Toutefois il se considère chanceux d'avoir atterri dans ce petit coin reculé, investi de quelques centaines de personnes seulement.
Après tout, il aurait tout à fait pu naître dans une grande ville infestée de gens à la mine patibulaire et constamment obsédés par le jugement… il ne s'en sort donc pas si mal à Silver Grove.


iii. we're all mad here.

Depuis sa naissance Lewis est atteint d'Anosmie. Il est donc incapable de sentir quoique ce soit, peu importe que ce soit l'arôme alléchant de la fameuse tarte à la cerise du Heavenly's, l'odeur suffocante d'un incendie, ou même celle d'une boule puante.
Cette particularité ne l'a pourtant jamais vraiment dérangé, ce qui l'ennuie le plus, c'est qu'elle a une forte incidence sur son goût. Il se retrouve donc obligé de manger des aliments saturés en condiments pour espérer les savourer un minimum.


iv. something strange in the woods.

Alors que Lewis avait passé sa vie à fuir l'attention, l'événement étrange s'étant déroulé la date fatidique du 28 janvier lui offrit un présent de la pire ironie possible.
En effet, depuis ce jour sa peau sécrète de temps à autre un parfum enivrant qui influe sur les sentiments des gens à son égard, et-ce sans qu'il ne puisse ni le sentir ni le contrôler.
Pour chaque personne le parfum est différent, et personne n'y est indifférent. Certains vont éprouver un profond malaise, du dégoût ou de la peur envers lui, tandis que d'autre ressentiront au contraire une attirance incontrôlable, de la tendresse ou encore de la nostalgie.
En bref, toutes les réactions sont possibles, et c'est bien ce qui inquiète Lewis.
Les effets du parfum sont imprévisibles et peuvent durer une poignée de minutes comme une journée entière avant de se dissiper, tout va dépendre de l'individu. Elle peut également apparaître plusieurs fois dans la même journée ou ne pas se manifester de toute une semaine. Le bon côté des choses c'est qu'il n'agit que sur un rayon de cinq mètres maximum.
Mais bien sûr il va s'en dire que cette nouvelle aptitude a tout de même passablement aggravé son cas d'ochlophobie.