soleil en plomb #lewis

we get what we deserve

l e w i s

https://www.youtube.com/watch?v=0-7IHOXkiV8

la pluie ne s’est pas arrêtée de tomber. étonnant, pour un plein mois de juillet, de recevoir des trombes d’eau aussi fortes, aussi soudaines. le temps, en règle général à cette période de l’année, prévient : je vais être inhabituel. d’abord il se pare de nuages blancs, puis sombres, puis le vent se lève, et avec lui la pluie, comme une tenue bien assortie, couches après couches superposées les unes sur les autres pour faire joli, pour se montrer beau. sauf qu’il n’a pas prévenu à l’avance, cette fois, et n’a rien de beau, à obscurcir le monde comme ça : en fin d’après-midi, on se croirait en fin de soirée. micky est sûr, sûr, de voir le soleil se coucher plus tôt, ce soir. à cause des nuages qui l’obstrue, il est parti de l’autre côté de la terre avant l’heure habituelle.

lui aussi aurait du rester au lit. ne pas sortir, aujourd’hui. surtout pour finalement rester coincé là.
il a parcouru des dizaines et des dizaines de kilomètres, loin du centre ville. pour explorer, sans doute, pour dénicher quelque chose, sûrement, ou pour avoir un peu de paix.
le tonnerre qui gronde accompagne ses pas pressés qui se ruent en direction d’un abri proche. la forêt ne sera pas son alliée, au contraire, trop risquée par un temps pareil. le vent souffle si fort, on dirait qu’une tornade se prépare. mickael n’a pas pour habitude d’être bien superstitieux, ou croyant en quoi que ce soit, mais il a l’impression que le ciel va lui tomber sur la tête. après l’orage de janvier, il se vantait de pouvoir supporter n’importe quelle intempérie : il semblerait que ça dépend du contexte.

temps de merde. il a juré en rejoignant l’abribus. son skateboard sous le bras, et son sac dans son dos, il abaisse la capuche qui lui servait de maigre protection contre la pluie. son sweatshirt est trempé, et son t-shirt, qui n’a pas été couvert à temps, aussi. le tissu lui colle à la peau, aussi gesticule-t-il dans tous les sens pour tenter de se débarrasser de la sensation d’inconfort.

enfin, ses yeux se posent sur le banc de bois, et sur la personne assise dessus. il a un moment d’arrêt, parce qu’il est sûr de l’avoir déjà vu quelque part ; puis les innombrables souvenir de lui, rentrant du travail à 8am, croisant la route du facteur pendu aux boîtes aux lettres de l’immeuble, lui revient. ’jour. il salue, un peu agacé. ses cheveux trempés lui collent au visage, et il peste en les envoyant en arrière.

un soupir passe ses lèvres lorsqu’il observe le paysage obstrué par des torrents de pluie. le ciel n’a pas l’air de vouloir annoncer la moindre accalmie : aussi, micky comprend qu’il va être coincé là pour un bon moment. qu’ils vont être coincés là pour un bon moment. à cette idée, ses billes océans s’accrochent aux boucles sombres de la tête du jeune homme. il fait jeune, oui, effectivement. du moins, juvénile. un peu perdu, aussi, avec un air de merlan frit. sensiblement aussi agacé que lui contre le temps qui n’a pas prévenu.

sans demander de permission, micky se laisse choir sur un bout du banc, envoyant valser toute théorie de “distance de sécurité”. s’il le gêne, il n’a qu’à se pousser. mouvement d’épaule, son sac noir passe sur ses genoux, et il y plonge la main pour en sortir son nécessaire de survie : clopes et bouteille de bière. joseph lui a appris à décapsuler avec les dents, alors il ne se gêne pas - par contre, le pauvre bougre ne lui a toujours pas appris à regarder la météo avant de sortir. quel dommage. de ses lèvres passent une ultime injure marmonnée autour de la cigarette qu’il allume d’un bref coup de pouce sur le briquet. elle est humide, mais encore capable de brûler sans s’y reprendre à plusieurs fois. c’est déjà ça de prit. une gorgée de bière, il tend la bouteille au jeune, tapote le culot contre sa cuisse.

t’en veux ?
une traînée blanche dessine ses mots.

Assis sur le banc en bois vermoulu d'un vieil abribus de la ville, Lewis, l'air blasé, observait la pluie s'éparpiller sous l'effet du vent qui rugissait tout autour de lui.
L'averse durait depuis une bonne vingtaine de minutes déjà, et elle ne semblait pas vouloir s'atténuer, bien au contraire: à présent c'était tel que même protégé sous la toiture de l'abribus, le jeune homme sentait malgré tout régulièrement des gouttes glacées s'échouer sur son jean.

Alors qu'il fermait les yeux pour tenter à sa manière de faire disparaître ce déluge, un air de déjà vu saisit brusquement le jeune homme, qui ne pu s'empêcher de se remémorer le fameux jour où il avait été coincé sous une pluie torrentielle similaire à celle qu'il était entrain de subir, et-ce sous ce même abribus.
Mais si à l'époque il avait décidé d'affronter la tempête et de rentrer chez lui à pied, aujourd'hui c'était une autre paire de manche, puisqu'il transportait cette fois-ci un sac de courses remplis à craquer et qui par conséquent faisait son poids. Il était donc impensable pour Lewis et sa force légendaire d'espérer rentrer à pied chez lui en portant ce sac, et encore moins sous une pluie diluvienne.

Tout en poussant un profond soupir de résignation, le jeune homme serra un peu plus fort ledit sac qu'il avait prit sur ses genoux afin de le protéger de la pluie, et alors qu'il se laissait aller en arrière pour s'adosser contre la paroie de l'abribus, un bruit suspect attira son attention.
Il se redressa alors et tendit l'oreille, pour comprendre rapidement qu'il s'agissait en fait de bruit de pas faisant gicler les flaques d'eau inondant le sol. Bruits de pas qui se rapprochaient indéniablement de l'abribus.

Soudain, sans crier gare, un jeune homme passablement trempé surgit du côté gauche de l'abribus, un skateboard sous le bras. Bien que visiblement agacé par la tempête qu'il venait d'essuyer, tout en lui dégageait une aura de confiance et de malice qui fit grimacer Lewis.
L'inconnu lui lança une vague salutation à laquelle Lewis répondit d'un petit signe de tête. Tout en détournant le regard, il se rendit alors compte que sa jambe s'était mise à tressauter. Il l'arrêta aussitôt en posant la main sur son genoux et décida de se plonger dans la contemplation des gouttes qui suintaient contre la paroie de l'abribus, bien décidé à ignorer nouveau venu. Mais ce dernier ne semblait pas du même avis que lui.

Lewis tressauta lorsqu'il sentit le jeune homme s'affaler à quelques centimètres de lui, et se crispa instinctivement contre son sac de course. S'obstinant à l'ignorer le plus longtemps possible, il garda les yeux rivés sur la paroie du bus, mais il ne pu s'empêcher d'écouter le bruit d'une bouteille qu'on décapsulait avec les dents.

-Oh bien sûr, ce genre de mec ne peut pas s'empêcher de frimer, même trempé et coincé avec un loser sous un abribus moisi, songea Lewis, à présent davantage agacé par le nouveau venu que par la tempête qui l'empêchait de rentrer chez lui rapidement.

En cet instant il aurait donné n'importe quoi pour être installé chez lui, sa télé d'un côté et une pizza de l'autre. Mais non, forcément, il fallait qu'il soit bloqué sous un déluge en compagnie d'un cool kid qui s'amusait à décapsuler une bière avec ses dents. Si la vie avait eu un visage, en cet instant Lewis ce serait fait un plaisir de la gifler.

Alors qu'il ruminait ses pensées, le jeune homme qui avait investi le banc à ses côtés lui tapota soudain la cuisse à l'aide du culot de sa bière. Complètement prit au dépourvu, Lewis se retourna vers lui et le dévisagea d'un air incrédule.

-T'en veux ? Lui demanda l'étranger d'un air désinvolte.

Avant de lui répondre, Lewis ne pu s'empêcher de passer instinctivement la main dans ses cheveux afin de s'assurer que sa mèche désordonnée dissimulait toujours une partie de son visage, trahissant son malaise.

-Heu, non merci, j'ai pas pour habitude de partager la même bière avec un parfait inconnu, lui rétorqua-t-il d'un ton morne, en s'efforçant de soutenir le regard limpide de son interlocuteur.

il a l'air méfiant, l'enfant. enfant, c'est la première appellation venue dans sa cervelle de rat. il fait juvénile, jeune. c'est étrange. à la fois outré, incrédule. ça le fait sourire, micky, parce qu'il a l'habitude de faire ça aux gens. l'habitude des regards de travers, des regards étonnés, de l'incrédulité face à son comportement, à ses mots. plus ça va, plus les gens ont peur qu'on leur parle, il a l'impression. à portland, il pouvait adresser la parole à n'importe qui, n'importe quand, sans pour autant se récupérer ce genre d’œillades déconcertées et surprises. à silver grove, les gens sont plus taciturnes, plus réservés. de la part d'un jeune, il s'attend toujours à plus d'ouverture, voire à du mépris - cette ville abrite majoritairement une population aisée. bien plus aisée que lui, en tout cas. alors il pouffe de rire, silencieusement, par le nez, en entendant sa voix morne et désintéressée derrière cette masse capillaire sauvage et sombre. ses teintes d'automne lui feraient presque croire qu'ils ont fait un saut dans le futur, avec ce temps de merde, et qu'octobre vient frapper à leur porte. si seulement ce type n'avait pas été en t-shirt.

tu devrais, ça crée des liens. ricane-t-il en tirant sur sa cigarette, son regard redressé vers les grosses gouttes de pluie qui tombent en déluge du ciel. t'es sûr ? elle est bonne, pourtant.

il sait pertinemment que le jeune homme n'en prendre pas une gorgée, alors lui s'en ressert une. il hésite à lui en proposer une neuve, mais ce gars-là n'a pas l'air d'être du genre à consommer quoi que ce soit d'alcoolisé. soit. il souffle la fumée de sa cigarette ailleurs, histoire de ne pas lui enfumer le crâne. son regard, cependant, s'accroche de nouveau à son faciès. il le dévisage quelques secondes, secondes interminables qui semblent durer des heures avec la pluie qui rythme chacun de ses mouvements. face aux trombes d'eaux lancées des nuages aussi vivement, tout paraît beaucoup plus lent, de leur côté.

tu ne fumes pas non plus, je suppose ? il a tendu la cigarette, sagement, du bout des doigts. le sourire qu'il affiche est son éternel allié, comme gravé sur son minois, avec ces fossettes creusées : on pourrait croire à des rigoles dans lesquelles la pluie achève de s'écouler. les coudes sur les cuisses, il a l'air paisible, comme ça. presque sage. presque angélique. si seulement ses cheveux trempés rabattus en arrière et ses cernes noirs ne trahissaient pas la malice de son regard clair. tant mieux, apparemment c'est mauvais pour la santé.

il n'a pas attendu de réponse pour récupérer sa denrée, la porter à ses lèvres. d'une certaine façon, il aura sa réponse : si ce type fume, cloper à côté de lui va lui donner envie. soit il sort une cigarette, soit il en demande une. aussi simple que ça.
son dos s'abat contre le fond en bois de l'abri bus. les dégoulinures d'eau lui trempent son dos déjà humide, aussi ne s'en aperçoit-il pas tout de suite. micky n'est pas un mec compliqué, si on regarde bien. passif, il se laisse même couler vers l'avant, ses paupières clignent lentement sur ses yeux bleus. un soupir. il contemple la pluie et son désarroi de voir sa petit promenade du jour avortée aussi promptement.

temps de merde.
ça va durer, tu penses ? un regard dans sa direction. à lui, à l'enfant.

au fait, moi c'est micky.

Face à sa tirade, le jeune homme pouffa imperceptiblement.

-Tu devrais, ça crée des liens, lui dit-t-il avec un fin rictus, avant de prendre une bouffée de sa cigarette. T'es sûr ? Elle est bonne pourtant.

Lewis lui décocha un regard agacé.

-Je suis on ne peut plus sûr. Figure toi que c'est justement ce que j'essaie d'éviter, les liens, lui rétorqua-t-il en haussant les épaules, avant de retourner à sa contemplation des gouttes de pluie s'échouant sur la paroie en bois de l'abribus.

Le détenteur de la bière ne releva pas et se contenta d'en reprendre une bouteille, tout en tirant de temps à autre sur sa cigarette qui relâchait de minces volutes blanchâtres. Dans cette ambiance faussement automnale, Lewis, qui était bien incapable de sentir l'odeur soit disant nauséabonde de la cigarette, avait presque l'impression qu'il s'agissait de la respiration du jeune homme.

Alors qu'il observait la fumée se fondre parmi l'air ambiant, Lewis sentit le regard du jeune homme lui brûler les pommettes. Il fit mine de ne pas avoir remarqué sa curiosité à son égard, et se mit à tapoter machinalement son sac de course.

-Tu ne fumes pas non plus je suppose ?

La question du jeune homme fut entrecoupée par le bruit de l'orage, pourtant elle arriva bien aux oreilles de Lewis, qui ferma les yeux une poignée de seconde.

-Génial, vraiment génial. Se dit-t-il avec humeur. Apparemment je suis tombé sur un bavard.

Il se retourna vers le jeune homme pour constater qu'il lui tendait nonchalamment sa cigarette à moitié entamée. Lewis s'apprêtait à lui envoyer une de ses fameuses répliques teintées d'ironies, lorsque son regard rencontra le sien.
Ses yeux bleus le dévisageait une fois de plus, et un sourire malicieux était pendu à ses lèvres, dévoilant deux fossettes creusant délicatement ses joues.
Troublé par ce sourire angélique, Lewis resta finalement silencieux et se contenta de hocher négativement de la tête, puis il détourna le regard et les yeux perdu dans le vide non loin de ses chaussures, il passa une nouvelle fois la main dans ses cheveux pour masquer son air confus.

Quelques minutes passèrent dans un silence religieux, seulement troublé par le son de la pluie et le grondement de l'orage.
Lewis, le cœur battant, priait tous les dieux pour que le bus fasse soudainement son apparition dans le coin de la rue. C'est alors que le jeune inconnu décida une nouvelle fois de briser le silence.

-Temps de merde.

-Finement observé, lui répondit Lewis d'un ton neutre.

-Ça va durer, tu penses ? continua le jeune homme, sans se départir de son assurance. Puis il tourna de nouveau son regard limpide vers Lewis.

-Au fait, moi c'est Micky.

Lewis poussa un petit soupir irrité et fit volte-face pour braver de nouveau les yeux bleus et le sourire irrésistible de l'inconnu.

-Et moi c'est Lewis, Lewis Shelby. Je suis facteur, je bois très peu et je ne fume pas du tout. Je sors rarement de chez moi parce que je préfère le confort de mon appartement aux galères du dehors, et je n'ai qu'une télé pour me porter compagnie.

Au fur et à mesure qu'il parlait, son ton devenait plus cinglant et ses yeux étaient animés d'une lueur bravache.

-Quant à toi laisse moi deviner: dans les soirées tu es dans ton élément, tu adores t'amuser, participer à des jeux d'alcools en montrant à tout le monde que tu es capable d'ouvrir les bouteilles avec tes dents, et b-bien sûr collectionner les filles et les mégots de c-clopes.

A la fin de sa tirade, Lewis se maudit intérieurement de s'être mit à bégayer, mais il lui était impossible de lutter contre ça. À chaque fois qu'il parlait un peu trop longtemps, il se mettait immanquablement à bafouiller.

-Tant pis, pesta-t-il intérieurement. Maintenant que je suis lancé, autant que je termine.

-C-conclusion Micky ? Je penses que la seule chose qu'on a en c-commun, c'est qu'on ne sait pas quoi faire de notre p-putain de vie. Donc on ferait mieux de c-couper court dès maintenant, parce que franchement les échanges de politesses, ça c-craint, parvint-t-il à dire d'un air morose.

ses yeux clignent, très lentement. il a laissé ses lèvres légèrement entrouvertes, les commissures gardent la trace d'un vague sourire. ses paupières grandes ouvertes sur ses billes bleues, il s'étonne de voir l'enfant accrocher son regard comme ça. le braver, pour tout dire. serait-ce du cramoisi qui fleurit sur ses joues, à mesure que battent ses mots dans l'air ? aucune ombre de sourire sur le visage de micky ; il est absorbé, abasourdi par la tirade qui s'abat sur lui au rythme des trombes d'eau. étonnant, surprenant même. s'attendait-il à recevoir tant de ferveur et d'énergie de la part de cette personne qui justement essaye d'éviter, les liens.

un bref moment de silence, rien que pour faire planer les derniers mots dans l'atmosphère, dans leur petite bulle abritée des caprices du temps.
ça craint.

wow.
enchanté, lewis.

il fait le bilan dans sa tête. ce type a l'air sincèrement irrité, mais a l'air d'abriter quelque chose de plus triste, de plus en détresse. avoir autant de choses à dire alors qu'on aimerait autant oublier l'existence du monde, c'est qu'on porte un lourd fardeau dans son cœur, et dans sa tête. d'expérience, micky reconnaît ce genre de problématiques existentielles qui rythment une vie. aussi, il ne le quitte pas des yeux, ses billes océaniques rivées sur les siennes, et le rouge à ses joues, et ses lèvres encore tremblantes de l'effort que ça lui a coûté de lui balancer tout ça. impressionné, c'est le mot le plus juste pour décrire son état.

et il éclate d'un rire sincère, étonné. doux.

tu vois que t'en as des choses à dire, lewis ! c'est un peu une victoire pour lui, en vérité, s'être pris tout ça dans la tronche. le ton cinglant, quant à lui, a raté sa cible, et lui est carrément passé au-dessus. le sourire n'en démord pas de ses lèvres qu'il mordille légèrement pour s'apaiser, pour réfléchir un instant. bien vu. j'travaille comme barman à l'ace of spades. il n'est pas sûr que quelqu'un qui reste enfermé chez lui toute la journée connaisse cet endroit, mine de rien encore bien dissimulé à une bonne partie de la population. aussi, précise-t-il : le casino. une pause, pour regarder sa clope se consumer. je me disais bien qu'on s'était déjà croisé. surtout le matin pendant ta tournée, en fait, puisque mon boulot est de nuit, je rentre tôt dans la matinée. il tire dessus, souffle la fumée, apprécie l'acidité du tabac, et la lourdeur dans ses poumons.

d'un geste de la main, il désigne la bouteille de bière.

t'sais que ça m'a pris un temps fou pour y arriver ? mais en vrai, je triche. ça s'ouvre avec la main, comme une bouteille de coca. supercherie révélée. joseph a beau travailler à lui montrer comment faire, micky n'arrive toujours pas à décapsuler les bières bien scellées avec les dents sans s'en arracher une.

il n'a pas quitté des yeux le fameux lewis. celui-ci a l'air tout bonnement irrité, mais aussi terriblement gêné d'être dans cette situation-là. d'être coincé, avec lui, sous un abribus, à l'écouter parler de sa vie et des banalités qui semblent tant l'agacer.
dommage pour lui, mickael quirke adore les banalités.

c'est pas des échanges de politesse. on s'ennuie, là, on va pas regarder la pluie tomber comme deux cons. si ? son sourire est tout à fait équivoque, de la même façon que sa phrase est ambivalente dans son intonation. à la fois sarcastique et méprisante, le tout dissimulé sous une couche de douceur, celle qui est si particulière, si éternelle, chez micky. tu regardes quoi sur ta TV ? il demande, d'un hochement de tête, avant de prendre une gorgée de bière. j'en ai pas. c'est dommage, ça m'manque un peu de mater des films. ça fait un sacré bail qu'il n'a pas touché à une VHS. la dernière fois, c'était à portland, et ça n'était même pas chez lui.

il a un sourire qui creuse ses fossettes. comme une statue de pierre, ses coudes sont restés sur ses cuisses, et son dos courbé vers l'avant, la tête tournée vers lewis. ses yeux bleus plantés dans les siens.

Le souffle court et le corps légèrement tremblant, Lewis dévisageait le dénommé Micky avec perplexité: ce n'était pas la première fois qu'il débitait une flopée de remarques à l'égard d'un de ses interlocuteurs dans le seul but de le vexer, de l'agacer ou de le faire fuir.
En général son stratagème fonctionnait plutôt bien et on le laissait rapidement tranquille, or c'était bien la première fois qu'il obtenait une réaction semblable à celle de Micky: les yeux ronds et la bouche légèrement entrouverte, le jeune homme semblait avoir bu les paroles de Lewis sans en éprouver l'ombre d'une contrariété. Au contraire, il avait l'air plutôt impressionné qu'un tel monologue ai pu sortir de sa bouche.

Alors que l'averse s'obstinait à s'abattre sur l'abribus, un ange passa entre les deux jeunes hommes qui se jaugeaient à présent du regard.
Mais bien que les yeux brillants d'une lueur effrontée de Lewis étaient toujours braqué sur Micky, le jeune homme n'en menait en réalité pas large.

-Qu'est-ce qu'il attend pour me faire un doigt ou me cracher une réplique à la figure ? Songea-t-il avec désarroi.

Ledit désarroi ne fit que s'accentuer lorsque Micky prit finalement la parole:

-Wow. Enchanté Lewis.

Lewis laissa échapper malgré lui un petit grognement confus.

Pourquoi diable réagissait-t-il comme ça ? Un type avec une cigarette aux lèvres et un skate à la main ne pouvait décemment pas être enchanté de le rencontrer, et encore moins après sa dernière tirade.

Pourtant, face au regard troublé et méfiant de Lewis, l'intéressé poussa un rire franc et presque affectueux avant de reprendre la parole.

-Tu vois que t'en a des choses à dire Lewis !

Puis il marqua une courte pause durant laquelle il se mordilla la lèvre inférieure d'un air songeur. Lewis, qui s'était vivement détourné de lui, contemplait à présent ses chaussures d'un air penaud. Il ne parvenait pas à croire qu'il venait de se faire prendre à son propre jeu.

-Bien vu, j'travaille à l'ace of spade, enchaîna Micky alors que sa cigarette se consumait lentement entre ses doigts.

Face à l'air interrogateur de Lewis, le jeune homme ajouta:

-Le casino. Je me disais bien qu'on s'était déjà croisé. Surtout le matin pendant ta tournée, en fait, puisque mon boulot est de nuit, je rentre tôt dans la matinée.

Sur ces paroles, il porta sa cigarette à ses lèvres et en inspira une bouffée avant d'expirer une spirale de fumée grisâtre. Lewis, qui n'avait pas vraiment prêté attention au parole du jeune homme, tentait de calmer sa jambe qui s'était remise à tressauter.

-C'est pas possible, il est forcément en train de se demander s'il préfère me casser en deux aux sens littéral du terme ou pas, pensa-t-il, partagé entre la gêne et l'agacement.

Mais Micky semblait bien décidé à lui démontrer le contraire:

-T'sais que ça m'a prit un temps fou pour y arriver ? lui avoua-t-il en désignant la bouteille de bière entamée. Mais en vrai je triche. Ça s'ouvre avec la main, comme une bouteille de coca.

Lewis préféra garder sous silence le fait qu'il était également bien incapable de décapsuler quoique ce soit à l'aide de ses mains, et qu'il restait donc malgré tout impressionné par la dextérité de Micky.

Il ne pouvait également s'empêcher de penser qu'il y avait quelque chose de touchant dans le fait qu'il décide de lui apprendre cette astuce, comme s'il cherchait à lui montrer un aperçu de ce qui pouvait se cacher derrière sa façade de mec cool.
Non, Micky n'était pas parfait, lui aussi avait ses faiblesses. Ce dernier gardait les yeux rivés sur Lewis.

-C'est pas des échanges de politesse. Lâcha-t-il finalement, probablement lassé de devoir faire la conversation tout seul depuis quelques minutes déjà. On s'ennuie, là, on va pas regarder la pluie tomber comme deux cons, si ?

Lewis haussa vaguement les épaules mais resta silencieux. Il avait opté pour une nouvelle stratégie: ne plus l'ouvrir. Après tout, Micky allait bien finir par se lasser de parler de la pluie et du beau temps tout seul.

Mais comme s'il avait une nouvelle fois deviné ses pensées, ce dernier reprit la parole en ponctuant sa phrase d'une gorgée de bière.

-Tu regardes quoi sur la TV ? J'en ai pas. C'est dommage, ça m'manques un peu de mater des films.

Il avait trouvé l'unique point faible de Lewis, son talon d'Achille. Il était incapable de garder le silence face à une question pareille, et le grand sourire orné de fossette de Micky ne l'aidait pas.

-Eh bien… Commença-t-il en triturant les lanières de son sac de course. En fait je me c-cantonne un peu à un seul genre… j'ai essayé de regarder p-plusieurs trucs mais pour moi rien n'égale les films d'horreur.

Il marqua une courte pause pendant laquelle il prit une grande inspiration pour tenter de contrôler son bégaiement.

-Mais ne va pas croire que je suis taré ou q-quoi hein ! C'est juste q-que je j'aime bien me faire peur. Et puis les tueurs masqués sont q-quand même plutôt cool.

Alors qu'il racontait tout ça à Micky, un léger sourire s'était dessiné sur son visage, et son ton blasé avait laissé place à une voix trahissant la passion qui l'animait.

-Tu a déjà vu q-quelques films d'horreurs toi ? Demanda-t-il à l'intention de Micky.

Il était sincèrement curieux de savoir s'il connaissait au moins un de ses slashers favoris.

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