⊹ DREAM ME THE WORLD.

i. please introduce yourself.
Demetrius a toujours rêvé d'une vie différente, quand il était petit il voulait aller à New York pour devenir acteur dans un film de Spike Lee, aujourd'hui il aimerait y aller pour devenir rappeur comme Tupac. Il a quitté la Californie quand il était jeune, parce que son frère avait été foutu en prison et que sa mère n'allait pas tarder à y rejoindre si papa ne faisait pas quelque chose. Il a travaillé sans relâche au lycée, s'est évertué à avoir des bonnes notes, à livrer des pizzas la nuit et distribuer les journaux le matin pour économiser... au final, un mois avant la fin des cours, sa mère lui a volé son fric pour aller s'acheter de la dope et son père lui a annoncé qu'ils ne pourraient pas l'aider à payer sa scolarité. Désolé, tu restes avec nous. Il serait temps de tuer tes rêves.
Demetrius est coincé et il ne sait plus quoi faire: pas facile d'être noir en Amérique aujourd'hui et hier. Il reste fidèle à sa famille, ramène un peu d'argent à la maison, dort dès qu'il le peut — trop souvent. Il se laisse engourdir, enliser, se dit qu'il va finir ses jours ici. Peu importe...
On lui demande souvent pourquoi il dort autant. Il pourrait dire que c'est parce qu'il y a un problème dans son corps, que celui-ci ne peut pas se concentrer, que dormir. Il pourrait dire que c'est pas de sa faute, qu'il est fatigué. Fatigué de courir, de se battre, de protester. À la place, il offre un sourire et explique: quand il dort, c'est le seul moment où il peut encore rêver.

ii. mean streets of silver grove.
Demetrius est à Silver Grove depuis ses douze ans, quand son père a décidé de déménager d'Oakland, Californie, où les Marshall avaient grandi. Ses parents et lui ont habité dans la chambre d'amis de sa tante pendant six mois avant que son père ne trouve un autre travail et rachète une maison, la plus petite du quartier: il n'a pas sa propre chambre et dort sur le canapé. Arriver en cours d'année au collège n'a pas été aisé, il s'est fait chahuter à de nombreuses reprises, mais un peu moins quand la rumeur s'est propagée dans l'école que la raison pour laquelle il avait déménagé, c'était parce que son frère faisait partie des Crips et qu'il avait fini en prison à la prison fédérale de Californie (rumeur bien-fondée, mais exagérée).
Demetrius aime bien cette petite ville tranquille, bien différente d'Oakland. Il s'est refait des amis, refait une vie. Et puis ici, sa mère a plus de mal à mettre la main sur de la drogue, donc la plupart des jours, elle est clean... c'est un atout conséquent. Il reste plutôt solitaire, distant, détaché des autres; aliéné, peut-être parce qu'il n'a jamais eu l'impression d'être à la maison ici ou ailleurs.

iii. we're all mad here.
Depuis qu'il est petit, Demetrius dort beaucoup. Une sieste, deux siestes, parfois trois par jour: elles peuvent être aussi courtes que dix minutes, et aussi longues que sept heures. En cours? Il ronfle. Le dimanche matin après une nuit de dix heures? Il se rendort déjà. Il n'a jamais été diagnostiqué — ses parents ne s'en inquiétant pas outre-mesure, le pensant juste flemmard et fatigué —, ainsi il pense juste qu'il est souvent... fatigué. Même si ça veut dire s'endormir à tout moment. Il lui est déjà arrivé de s'endormir sur son balai alors qu'il nettoyait le sol...
La seule chose qui peut l'aider à tenir debout, c'est les stimulants, le genre de drogues qui ont perdu sa mère alors jamais il n'y touchera sérieusement. Du coup il ronfle, roupille, s'assoupit, somnole, lambine, se couche, pionce dès que l'occasion se présente (et parfois, surtout, quand la situation n'est pas propice).

iv. something strange in the woods.
Quand je serai grand, j'irais à New York et je serai acteur, disait-il à sa mère, qui riait beaucoup en l'entendant, secouant la tête en sachant pertinemment qu'il n'y arriverait jamais. Quand je serai grand, je voyagerai partout dans le monde et tout le monde m'aimera, clamait-il aussi parfois, faisant rire tout le monde à son grand désarroi. On ne voulait pas l'empêcher de rêver, mais il fallait dire que c'était ridicule: un Marshall ne ferait jamais rien de tout ça. Il n'avait aucun talent pour le théâtre, la musique, le dessin, le football, rien. Il ne pourrait jamais accomplir ses rêves.
Ses rêves, c'est tout ce qu'il lui reste. Il les explore de long en large, y marche comme si il était conscient, peut y créer ce qu'il désire. Il lui arrive parfois d'aller dans celui des voisins, d'y jeter un coup d'oeil. Marcheur de rêves, il explore les mondes oniriques des autres, spectateur indolent qui ne s'y implique pas. Ça le rend jaloux parfois, de voir la vie des gens à travers le prisme de leurs rêves. Ça le rend jaloux et ça lui donne envie de prendre, de voler, de ramener avec lui des morceaux d'eux. Ils ne le méritent pas!
Un jour, il s'est promis de tout voler aux rêveurs. Enfin, il aura ce qu'il veut et personne ne pourra l'arrêter.