sound of rain ⌁

un quatre septembre.
réunion familiale. ça veut dire une femme et une fille sur un même fauteuil, la plus petite sur les genoux de la plus grande.
on allume le poste de télévision qui grésille, on attend que la neige s’interrompe. en fait, on attend une heure parce que la mère a mal compris l’heure de diffusion.
elle l’aime pas, cette série. elle se fait chier, la mère n’aime pas le cinéma et tout ce qui bouge dans un écran. ça la touche pas. mais ici ça n’est pas le feuilleton qu’elle regarde, c’est sa fille. son premier rôle.

un vingt-sept mai.
putain de gamine. c’est caprice sur caprice. fait chier parce qu’elle sait que si elle se met à crier en plein mall, des pères en furie viendront lui démonter la gueule. on touche pas à la petite anastasia.
cette petite pute c’est une vicieuse. une manipulatrice, sa mère le voit pas ça. plus elle grandit, plus elle sait jouer de ses charmes. souffle le chaud et le froid. il sait lui, il sait à quoi elle joue. ce qu’elle veut. il sait même ce qu’elle aura, ce qu’il va lui faire.
ce genre de pétasses pourries-gâtées, y’a qu’un moyen de les mater.

un autre jour.
anastasia signe des autographes. le stylo s’agite, gratte de vagues lignes face à l’abondance de photographies à griffer. elle a un sourire bêta sur les lèvres, les producteurs lui demandent d’être gentille avec le public. de faire la gentille. c’est pas une garce pourtant, seulement elle a du caractère. on dirait pas qu’une silhouette frêle comme la sienne peut serrer les poings si fort.
mais là c’est dans son contrat. alors elle se ramollit. joue à la petite conne de l’Amérique, celle que tout le monde aime, celle que tout le monde voudrait pour fille. un sentiment qui transcende même la couleur, apparemment. étonnant.

la semaine d’après.
personne sait d’où ça lui sort. même sa mère, parfois elle s’en rend compte, elle le sent. sa fille elle est difficilement impressionnable. alors le beau-père qui s’approche d’elle comme ça, y’a rien pour lui faire baisser le regard.
elle se force. à l’intérieur, elle se force à tenir tête, se dit que ça le dissuadera. elle se pisse dessus, ana. là elle sert les dents pour cacher la mâchoire qui tremble. sent ses yeux rougir mais espère que le manque de de lumière camoufle le vernis qui craquelle.
aujourd’hui c’est passé près. mais elle sait que la prochaine fois, il sortira les mains de ses poches.
par chance, demain elle se fait frapper par la foudre.
alors au moins, elle le sentira pas.

ce seize août.
ses doigts dégueulasses sur la peau inerte de la jeune fille. passe le long de ces drôles de marques. il est tellement con qu’il appelle ça des figures de liechtenstein.
quand la mère ouvre la porte de la chambre d’hôpital il a encore touché que ses seins. à quinze y’a pas grand chose à tâter mais il s’en contente, il s’en délecte.
alors la mère devient furie et lui saute à la gorge, prête à le tuer. l’histoire a fait que c’est elle qui finit par mourir et lui qui s’enfuit du sang sur les mains.
la police le retrouve dans la soirée, le même jour.
et quand ana se réveille, des jours plus tard, elle est orpheline.

quelques temps plus tard.
là chez l’amie d’enfance de sa mère. y’avait plus aucune famille à contacter.
ana l’est devant la télé. regarde anastasia se taper une voiture en pleine gueule. commence à chialer, la petite. on sait pas trop pourquoi. on se doute, entre la carrière, la mère, ce trou-à-rat.
tout qui s’effondre. ce monde c’est qu’apparences et disparitions. l’est restée dans le coma à peine deux semaines et l’a déjà disparue des esprits. parce qu’une nouvelle petite fille bonheur a pris sa place, parce qu’une latina tout le monde s’en fout une fois qu’elle est plus à l’écran.

un jour de 1992.
se trouve à rêver dans une salle de cinéma.
se trouver à rêver d’être l’actrice qu’elle regarde.
elle a pas tant changée, ana. toujours ce ton de petite starlette parfois, cette arrogance maintenant teintée de lassitude. l’est toujours aussi électrisante, captivante. l’est toujours aussi tête brûlée, prête à foncer dans n’importe quel type qui l’emmerde.
elle sait qu’elle sera jamais certaine de terrasser l’ennemi, même avec la foudre qui parcourt son corps aujourd’hui.
l’était déjà préparée à l’éventualité, en tant que jeune fille latina, de mourir prématurément.
mais aujourd’hui c’est presque un souhait.
un espoir caché.