stuck in gravity (meth)

La nuit d’été rend le ciel poisse et les nuages transpirants, Seth respire comme s’il faisait une longue brasse dans l’océan et il tourne sur l’asphalte de la station service. Au sol les bandes blanches règlementaires commencent à disparaître pigment par pigment. Seth est un intrus lunaire et accroché à son vélo qu’il n’est décidément pas capable de lâcher une seule seconde, c’est en partie devenu un fidèle compagnon de route depuis qu’il refuse de prendre le volant d’une voiture, s’imaginant les dévastateurs nuages de plomb. Les mains sur le guidons, moites et rose fuchsia à force d’appuyer s’attardent sur le souvenir de sa fidèle co-pilote, Fiona Holiday... et dans le silence d’Août l’oxygène monte généreusement aux poumons de Ferguson qui inhale, tout sauf les baisers déjà évaporés de son ex-fiancée.

Au tintement de la porte, il lève le museau sans perdre l’expression mousseuse qui va si bien à son visage d’angelot moderne, les doigts sentant fort le cuivre à présent, il les noue et donne un petit coup de menton dans la direction de la cavalière s’approchant de lui en trottinant, elle porte encore d’épaisses bottes en caoutchouc, elle lui dit: J’ai faim! avant de se pendre à son cou ce qui fait briller les deux billes azur de Seth. Il enfonce une main dans sa poche et en sort quelques pièces, se rend compte qu’il faudra sortir le portefeuille s’il veut combler sa compagne d’un soir. Mmh-- La baraque de Roger est pas loin, je te paye un truc? 



Elle n’a pas besoin d’opiner du chef à répétition pour qu’il comprenne que oui, il devra débourser quelques Alexander Hamilton de plus pour la demoiselle et sans perdre le grandissant demi-cercle sur sa face éclairée par la fin de soirée, il dégaine un petit objet en cuir, aux finitions très soignées, en cherchant de quoi remplir les poches de Roger, Seth dévoile un petit compartiment où une bande photo est déchirée au milieu, laissant passer sous la bonne face de la lune les cheveux séparés d’une barrette de Holiday, le baiser au coin des lèvres figés de Seth sur sa peau de lait, en même temps que sa main perdue dans un dégoulinement adorable de cheveux en bataille.

Jackpot! Seth pourrait réveiller tous les morts du cimetière avec sa trouvaille, il dégaine deux billets bien verts et les colle dans la paume de la blondinette euphorique qui part déjà devant en replaçant sa queue de cheval non pas sans avoir planté sa bouche sur celle de Seth trois fois d’affilée, en récompense.  

Le truc quand on vit sa vie à toute allure, c’est qu’on prend pas forcément le temps de réfléchir, de penser à certaines choses. Tu te contentais de courir sans jamais t’arrêter, la gueule ouverte, la gorge déployée, à hurler contre la montre, à courser les minutes comme si ton existence en dépendait, à dévorer les grains du sable du sablier comme si c’était ton dernier repas. Tu cours, tu cours, tu cours sans même te rendre compte que ton coeur bat la chamade quand certains visages te viennent en tête. Un sourire qui retrousse tes lèvres, un regard qui fait briller tes yeux, le souvenir d’un baiser qui embrasse ta peau. Et te voilà essoufflé avant même d’avoir repris ta course.

Les échanges langoureux avec ces fantômes nébuleux de l’Ace Of Spades ont soudainement un goût bien fade. Ca manque d’alcool, ça manque d’herbe, ça manque de chlore, ça manque de-« Allooo, Mal ? Tu m’embrasses ou tu dors ? ». Ah oui, elle est là, celle-là. C’était quoi son nom, déjà ? Franchement, t’exagère, Mal. « Hein ? Euh, ouais, j’sais pas, on dirait que t’as mangé trop de thon au dîner, en fait. ». La gifle a pas tardé, faut dire que tu l’avais bien mérité. Mais quand tu vois la silhouette du rongeur s’agiter derrière le comptoir, tu files à la poursuite de la demoiselle, la gorge serrée par un espèce d’embarras inavouable.

T’es tout mou, ce soir, même tes pieds traînent un contre le trottoir, tu l’appelles, le bras tendu, la conviction restée à danser à l’intérieur du bar. « Mais reviens, c’est pas c’que j’voulais dire, Lexie. ». « … Moi, c’est Emma, connard. ». « Hein ?! ‘Tain, j’étais persuadé que c’était Lexie, merde. ». Et finalement, tu la laisses filer, les épaules dressées vers le ciel, le soupire au bout de la langue. Ces derniers temps, t’étais distrait. Un album de George Michael, la piscine municipale où travaillait Jo’, la capote au fond de ton portefeuille, le top léopard hideux que ta mère portait le samedi soir, le bleu des néons de l'Ace, tout était bon pour te plonger dans un état second, comme un poison qui se propage dans tes veines et ralentit ton corps. T’avais beau y réfléchir, tes neurones n’arrivaient pas à connecter les points et à révéler l’évidence exposée au bout de ton nez.

Tes semelles embrassent le bitume un petit moment, pas si longtemps, assez pour que tes yeux se perdent dans les billets verts que Seth-La-Vieille-Chaussette glisse dans la main de cette blondinette. Et soudain, la machine pensante s’échauffe, les boulons sautent, les théories affluent de toutes parts, un sourire moqueur a déjà rongé tes joues quand tu assènes un coup de pied au derrière de ce sacré Ferguson Junior. « Bah alors, Ferguson ?! On s’fait plaiz’ avec les faveurs des jolies gonzesses ? J’pensais pas que tu dépenserais ton blé comme ça, mon p’tit vieux. T’as si peur de plus pécho depuis que ta meuf t’a largué devant l’autel ? Remarque, t’as raison, les meufs aiment pas trop ramasser les restes des autres. ». Sortir ta langue de vipère avec le petit Ferguson, ça te redonnait de l’énergie, quelque part.