take me out (mal)

I'm just a crosshair
I'm just a shot away from you

« Euh... tu m'écoutes ?
- Hum hum.
- Maya, c'est sérieux... donc tu viens ? »

Un sourcil haussé, une moue surprise, presque suspicieuse, elle porte finalement son attention sur le jeune homme ; Tim a l'air hésitant, très peu sûr de lui, pour changer. Il semble saisir son incompréhension et réitère sa demande. « Chez moi, après les cours... pour l'exposé ? »
Elle acquiesce vaguement avant de retourner à sa contemplation. La fenêtre menant sur la grande cour, ce banc éternellement occupé par les mêmes fumistes, le ciel gris retenant ces énormes nuages qui menacent de craquer à tout instant. Il y a trop de distractions dehors pour qu'elle puisse se concentrer sur les dires de son camarade. D'ailleurs, elle n'en a que faire, de ce fameux devoir ; si ça ne tenait qu'à elle, elle refourguerait cette information dans un coin obscur de sa mémoire et l'y laisserait à tout jamais. Seulement, le gosse Grayson est un élève sérieux, pour qui les résultats scolaires importent et qui compte sur elle. Elle a tout de même assez de bon sens et d'humanité pour refuser de le laisser tomber sur ce coup.

Au moment où ils sortent, la pluie se met à tomber ; comme un signe du destin, une main vicieuse, là-haut, qui aurait décidé de rendre la scène un peu plus pathétique ; les deux marginaux qui marchent, seuls, en silence, les mèches rapidement gorgées d'eau. Ils ont l'air de gosses paumés et clairement délaissés, et pourtant, Maya conserve cette démarche assurée et cette attitude fière, ce qui donne l'impression qu'à ses côtés, Tim est encore plus recroquevillé sur lui-même qu'à l'accoutumée.

Une fois débarqués dans le hall de la fameuse demeure, son ami s'éclipse presque immédiatement, annonçant son retour sous peu. Bien décidée à se servir un verre d'eau sans attendre une quelconque permission, elle glisse sa silhouette jusqu'à la cuisine tout en secouant sa tignasse sans ménagement. Ouvrant quelques placards au hasard, elle finit par tomber sur le jackpot et s'empresse de s'emparer d'un verre. Seulement, en quelques secondes, elle sent un malaise l'envahir, ainsi que la désagréable impression d'une présence derrière elle. Et ça ne loupe pas ; Mal est là, à quelques mètres d'elle. Comme prise au piège, elle appuie le bas de son dos au comptoir et lance un banal « salut » qui se veut décontracté. Sauf que ses mimiques ne trompent personne et qu'elle a plus l'air agacée qu'autre chose, la gamine. Il ne lui aura fallu que quelques entrevues pour reléguer le frère du pote au rang de gros lourd. Alors elle anticipe, sur ses gardes, méfiante comme la louve qui flaire l'attaque.

« MALCOLM, DEBOUT MAINTENANT. ». T’as la tête encore embrumé par la soirée d’hier, les étoiles ne sont pas totalement éteintes au fond de tes yeux et tu sens encore le baiser de cette jeunesse délurée au coin de tes lèvres. Les draps froids, l’odeur de tabac qui colle à ton caleçon parsemé de coeurs, les bouts de vêtements éparpillés un peu partout dans la pièce. Tu plisses les yeux en traînant ton corps hors de la chambre, et dès que ton pied se pose sur le sol, le courant électrique reprend soudainement. « J’SUIS RÉVEILLÉ, ‘MAN, C’EST BON. ». Et la musique se mets en marche d’un coup.

Le plafond tremble au dessus de la tête de la pauvre Martha Grayson. A l’étage, tes pas mordent sauvagement la moquette, douche éclair, toilettage express, les textiles s’accordent sur ton corps dans une tempête mal accordée, et ta chaise est déjà tirée alors que t’as même pas fini de descendre les escaliers. « Qu’est-ce qu’ils font là, ces gosses, ils sont pas censés être à l’école ? ». « Ils sont revenus à la maison parce qu’ils étaient malades. ». « Tous les trois. En même temps. Tu t’fous d’ma gueule ? ». « Le langage, Malcolm. ». T’as les trois paires d’yeux qui te fixent en silence, les trois bouches qui mâchent la nourriture en même temps, synchronisation sordide qui te donne la chair de poule. Décidément, tu pouvais pas les blairer, ces triplés.

L’après-midi passe rapidement, pas de livraisons pour toi aujourd’hui, la daronne emmène les triplés chez le médecin, la maison est déserte quand tu reviens de ta sortie avec le Gang. Tu jettes ton sac dans ta chambre, prêt à foncer dans le frigo pour calmer ta faim, mais l’appel de la pièce vide retient ton élan. Espace royale, silence de mort depuis que la princesse a pris ses chaussons de verre pour foutre le camp de la ville. T’as pas trop compris pourquoi, t’as pas trop compris comment, mais ça te foutait en rogne, d’y penser. « Mal’, qu’est-ce que tu fous là ? ». T’as raté un battement quand la voix de Tim a brisé les murs de la nostalgie, tu t’es retourné d’un coup. « Putain, Tim’, tu m’as foutu la frousse ! Et je te signale que j’habite encore ici ! ». « C’est pas ce que- ». « Non mais j’comprend, hein ! L’poil pousse sur le torse et ça fait le bonhomme avec son grand frère, je retiens ! ». « Non mais- ». « C’est bon, j’te taquine, arrête avec cette tête de puceau, tu vas m’faire pleurer. Bon, j’vais bouffer un truc, bye. ». « Mais, Mal’, y’a- ». Pas l’temps pour les bavardages, tes semelles grattent à peine les marches que tu fais déjà face au dos d’une demoiselle. Elle te salue, ton sourire tire sur tes lèvres, tu t’approches un peu plus en faisant mine de froncer les sourcils. « J’ai le droit à un Salut ? Quel honneur ! Si tu m’fais un sourire, j’appelle la police pour usurpation d’identité. ». Ton bras passe au dessus de sa tête, tu ne lâches pas cet air bestial des yeux, alors que tes doigts saisissent un verre pour t’hydrater à ton tour.

Il a l'audace facile, sûrement la même qu’elle. Sauf que là où Maya mord, Mal joue. Sournoisement, il embobine quiconque se trouve sur sa route. Un sourire charmeur, un clin d’œil entendu et c’est dans la poche. Ses conquêtes, il les oublie en quelques secondes. Et ça, elle l’a bien compris, la gamine. Elle en a vu assez, au lycée, des gars du style. Des Don Juan qui font languir, espérer, puis qui disparaissent. Elle n’est pas assez naïve pour se laisser impressionner, trop féroce pour s’amouracher d’un tel stratagème. Mais le Grayson n’abandonne que lorsqu’il a obtenu ce qu’il désire, alors les voilà tous deux prisonniers de cette mascarade. La brunette abandonne bien vite l’idée de rester décontractée. Ses traits se crispent, l’impatience et l’énervement pointent déjà le bout de leur nez. Elle garde la tête haute quand il s’approche, soutient son regard. Un peu plus et elle montrerait les dents. « T’auras de quoi appeler la police si tu ne ravales pas tout de suite ton p’tit sourire suffisant. » Elle sait que les menaces n’auront pas l’effet escompté chez Mal, qu’elles risquent même de l’encourager. Mais elles sont ses seules armes.

A chacune de ses entrevues avec le frère de son ami, Maya hésite quant à la marche à suivre ; rentrer dans son jeu en se mettant elle aussi à le draguer lourdement, peut-être pour le déstabiliser ? Ou rester fidèle à elle-même et enchaîner piques sur piques, en ne lésinant pas sur l’agressivité ? Elle doute, ne sait pas bien comment s’y prendre. Et ça la met en rogne, l’agace au plus haut point ; ses hésitations laissent trop de pouvoir à Mal, elle en a bien conscience. « Tu sais, j’suis pas venue ici pour taper la discute à Grayson Senior. T’es pas obligé de rester là. » Elle porte le verre à ses lèvres, priant pour que Tim ne tarde pas à revenir. Ses nerfs sont trop fragiles pour qu’on tire dessus.  

C’était toujours plus marrant de provoquer les âmes impulsives. Sentir le feu d’un regard assassin te brûler la peau, les mots glacés par un timbre de voix hivernal, un courant d’air gelé qui t’arrache les oreilles. Tu devais être un peu maso’, sur les bords, mais putain qu’est-ce que c’était bon.

Alors tu continues, tu provoques, tu enchaînes les sourires moqueurs, cet air suffisant qui ne quitte pas ton visage, et tu le voies, l’agacement qui monte, l’eau dans la casserole qui commence à bouillir pour former une mousse blanche incontrôlable. Et ça finit par déborder, par exploser, y’en a partout, c’est comme une feu d’artifices meurtrier qui déchire le ciel dans un bruit assourdissant.

Elle te regarde en chien de faïance, la petite Maya, son ton railleur, presque menaçant te fait hérisser le poil, dans un sens étrangement positif. « Ah, je préfère quand tu t’énerves, ma jolie. Ça fait ressortir tes beaux yeux. On te la déjà dit, non ? Que t’avais de beaux yeux. ». Fais attention, Mal. Le feu de camp peut se transformer en incendie à tous moments.

Quand t’y penses, t’es sûre que Timmy craque sur elle. Les hommes Grayson avaient un penchant pour les nanas au sang chaud. Martha était une femme très nerveuse, ton père s’amuse souvent à raconter l’histoire de leur premier rendez-vous qui s’était conclu par une clef de bras de ta mère suite à un commentaire déplacé de Roger. Au début, tu pensais que Pete’ était une exception, vu que son épouse semblait être la plus douce de toutes. Mais une fois, tu l’as vu s’énerver pour une tarte trop cuite, alors t’es plus trop sûre. Puis, Timmy est une âme apeurée, il a besoin d’un esprit fort pour le bousculer un peu, c’est dans ses gênes.

« Je te rappelle que c’est chez moi, ici. Après, si tu veux pas qu’on reste dans la cuisine, on peut toujours aller dans ma chambre, histoire que tu me montres un peu mieux tes sourires, t’en dis quoi ? ». Mal, tu viens probablement de signer ton arrêt de mort.

Il est insupportable. Et ce n’est pas la première fois que la brunette en vient à cette conclusion, malheureusement. Peut-être que si Mal ne s’est encore jamais pris de coup de pied bien senti, c’est parce qu’il est attachant, à sa manière. Ou bien parce que vis-à-vis de Tim ça serait assez dérangeant.

L’adjectif attachant prend brusquement la fuite et devient aux antipodes de Malcom Grayson quand celui-ci reprend la parole. Un sourire étire les lèvres de Maya ; un rictus, plutôt, carnassier à souhait. Ma jolie. Soit le garçon n’a jamais entendu les multiples plaintes à l’égard de la lycéenne, soit il est suicidaire. « Ferme-la. » Net, tranchant. Plutôt un avertissement qu’un véritable ordre, finalement. C’est qu’elle se prépare à attaquer, la Masbat. Tous les signes sont là ; poings serrés, regard de furie, muscles tendus. La partie commence à peine, mais il en faut peu pour déchaîner la tempête. Maya a la bagarre facile, c’est bien connu. Et elle sait que son assaillant n’a qu’un seul et unique but ; la pousser à bout. Et le pire dans tout ça, c’est qu’il y parviendra avant le retour du petit-frère.

C’est fatiguant d’être sans cesse sur la défensive. Certains pourraient lui conseiller d’être plus souple, plus docile. C’est ce que sa mère aurait voulu, son père aussi très certainement. Une jolie poupée qu’on peut draguer à outrance sans risquer autre-chose qu’une symphonie de rires niais. A la place de quoi, quiconque décide de la taquiner un peu se récolte une jambe brisée en souvenir.

Il joue, l’autre idiot. Il s’amuse et ça crève les yeux. Elle aurait bien aimé garder la maîtrise. Peut-être jouer la provocation, elle aussi. Après tout, elle n’était pas trop nulle à ça. Mais la patience a ses limites, surtout la sienne. Il ne lui faut qu’une dizaine de secondes pour riposter ; le plat de sa main s’écrase violemment sur la joue du garçon, si vivement qu’elle sent l’onde de choc remonter jusqu’à sa propre épaule. « Fais gaffe, on pourra plus aller dans ta chambre s’il te manque tes jambes. » La gifle avait besoin de partir pour débloquer ses piques.

T’es pas un méchant garçon. Tu forces personne à quoi que ce soit, tu insultes personne, tu frappes personne -t’es trop lâche pour le faire, de toutes façons- mais t’es pas non plus le gendre idéale. Tu dragues tout c’qui cligne des yeux. Tu mens, souvent mal, tu embobines les midinettes avec des histoires décousues. Tu fuies dès que les choses se corsent, c’est plus fort que toi. T’es lourd -qu’est-ce que t’es lourd !- quand tu t’y mets, tu t’imposes des défis imaginaires comme si une récompense t’attendait au bout du tunnel. T’es un enfant, Mal.

Les filles comme Maya, c’était tes préférées. Inaccessible, farouche, bestiale, rancunière, sauvage, confiante, impulsive. Les plus difficiles à approcher, à toucher mais les premières à s’emporter pour un mot, un sourire, un regard. Ce genre de fille, ça emporte tout sur son passage, ça déclenche des ouragans en un claquement de doigts et c’est cette petite étincelle qui ravage l’univers.

La claque était si brusque qu’elle a résonné dans toute la cuisine, même Timmy aurait pu l’entendre, la sentir. Ta joue prend rapidement des couleurs, le rouge te brûle la peau et pourtant, ton sourire ne t’a pas quitté. Tes yeux roulent dans leurs orbites, tu soupires devant cette défaite. « Ok, je l’ai mérité, celle-là. ». Au moins, tu assumais tes conneries. « Mais, t’en fais pas que même sans mes jambes, j’te fais grimper au rideau. ». T’es qu’un inconscient, tu le sais ?

Tu te recules d’un coup, mains en l’air, à hauteur de ton buste, le rire qui fend l’air et ta joue qui tire encore un peu. « Je plaisante, je plaisante ! On s’detend, Masbat. ». T’étais peut être un sale gosse, t’allais pas voler le potentiel crush de ton petit frère adoré. Il te restait quand même des miettes d’honneurs au coin de tes lèvres, après tout. Eh puis, Maya était trop jeune. Toi, tu les préfères un peu plus âgées, juste assez pour qu’elles n’aient pas forcément envie de te tuer à chaque fois que tu ouvres la bouche.