(prudence) don't you wanna live forever ?

assise sur sa chaise, prudence écrivait sur son cahier d'une fougue incompréhensible. elle buvait littéralement les paroles du professeur, pour les recracher sur son cahier avec de l'encre noire. ce dernier l'avait repérée, pourtant, et il mourrait d'envie de lui dire qu'il n'était pas nécessaire d'écrire tout ce qu'il disait. mais comment en vouloir à cette fille, qui possédait encore tant d'énergie à seize heure alors que ses camarades de classes s'endormaient déjà sur leurs bureaux ? après tout, discuter des œuvres imaginaires d'oscar wilde n'était peut-être pas ce qui intéressait le plus des enfants, surtout à cette heure de la journée. ce n'est qu'au détour d'une citation du grand auteur que la voix de la petite blondinette vint briser son discours. ❝ pardon monsieur, mais vous vous trompez ! ❞ pardon ? venait-il de se faire corriger par une gamine de dix ans ? curieux d'en apprendre plus, il s'adressa à prue, dont le début d'insolence semblait avoir réveillé toute la salle. ❝ oscar wilde n'a pas dit que l'esprit corrompt le langage, mais la pensée ! je le sais, je l'ai lu ! ❞ et voilà qu'elle recommençait : ce ton de miss je-sais-tout, qui donnait envie de se taper le front contre un mur. soutenant le professeur du regard, ce dernier tenta de négocier avec la jeune élève, en lui expliquant par exemple que même si la citation est faussée, l'important était de comprendre l'essence-même de sa signification. ❝ non, c'est faux ! ❞ prue continuait de nier tout signe de raisonnement, et gardait son regard plongé dans celui de son enseignant. c'en était trop, pour ce dernier, qui prenait une nouvelle fois de plus ceci comme un défi. il fit rapidement comprendre à prue que si elle ne voulait pas passer à autre chose, elle devrait s'expliquer avec le mur du couloir jusqu'à la fin de la journée. ❝ je n'ai pas envie de recopier une citation qui n'est pas vraie. ❞ l'affront de trop pour le professeur, qui refusait de subir une seconde de plus la méprise de son élève. intimée à aller dehors, prudence traîna les pieds jusqu'à la porte, l'air abasourdie. à peine eu-t'elle le temps de se retourner pour protester que la porte se ferma derrière elle, la laissant seule dans le couloir vide de son école.



❝ merci, shérif. ❞ assise à l'avant de la voiture, sur le siège passager, prue attendait la mine basse le retour de son père. ce dernier discutait sur le trottoir avec le shérif de la ville. seul l'éclairage du lampadaire à l'avant du bâtiment, équipé de deux-trois loupiotes, illuminait la noirceur de la rue. prue savait que le chemin pour rentrer à la maison allait être long. lorsque son père entra dans le sut, il se contenta juste de démarrer l'engin et de prendre la route, sans même jeter un regard à sa fille. tant mieux, se disait prue. au moins, elle ne subirait pas les remontrances habituelles du paternel. elle tourna son regard vers l'extérieur, et s'amusa à suivre du regard les lumières qui défilaient à toute vitesse au travers de sa vitre. mais son père la coupa dans son petit jeu. ❝ le shérif va aller parler aux voisins demain, pour leur dire que tu es entrée par effraction dans leur cabane de jardin. je te conseille d'aller t'excuser auprès d'eux demain matin avant d'aller à l'école. ❞ elle baissa les yeux. ❝ oui, papa. ❞ elle n'osait pas faire la fière. de peur de décevoir une nouvelle fois son père, la jeune adolescente de douze ans comprit que cette fois, il ne valait mieux pas se mettre sur le dos la terrible fureur de monsieur morgan. ❝ tu veux me dire pourquoi tu as fait ça ? ❞ elle hésita un instant, avant de répondre. ❝ tu te souviens qu'ils ont perdu coussinette, leur chatte ? ❞ ❝ ils l'ont retrouvée, non ? ❞ ❝ mais ce n'est pas elle. il m'a semblé l'avoir vue à vélo, tout à l'heure. elle sortait du bois, et elle était différente. plus grosse qu'un chat ordinaire. ❞ son père soupira. ❝ qu'est-ce que tu veux dire ? ❞ ❝ tu ne me croirais pas si je te disais ce que c'était. mais je sais ce que j'ai vu. ❞ son père, qui ne l'avait pas regardée depuis le départ du commissariat, la fixait maintenant d'un regard noir. un regard qui demandait la suite de l'histoire, sans mensonges ni entourloupes. mais prue ne put se résoudre à baisser la voix en prononçant ses futurs mots. ❝ un chupacabra. ❞ son père soupira profondément. ❝ nom de dieu, prue, on en a déjà parlé ! ❞ ❝ mais je t'assure que c'est vrai ! on en a aperçu pour la dernière fois dans les montagnes de l'oregon, ils ressemblent à des félins qui peuvent changer d'apparence pour se fondre parmi les humains et leur sucer le sang ! alors j'ai voulu nous en débarrasser... ❞ son père frappa un coup sec sur le volant, lui coupant la parole. ❝ ça suffit, prue ! arrêtes avec tes histoires ! tes sorcières, tes fées, tes... chupacabras, ou que sais-je encore : tout ça n'existe que dans tes livres, et dans ta tête ! je te l'ai déjà dit, habiter à silver grove n'est pas une raison pour croire au surnaturel ! ❞ prue fit la moue. c'est justement parce qu'on habite à silver grove que tu devrais y croire, songea-t'elle, incapable de le prononcer à voix haute. ❝ ta mère et moi allons prendre des mesures plus drastiques désormais, jeune fille : à compter de ce soir, tu es privée de sortie pendant un mois. et tu peux dire adieu à ta collection de comics tant que tu n'auras pas changé de comportement. ❞ elle voulu se plaindre, mais n'en avait pas la force. elle devrait encore se faire passer pour une fille modèle pendant un certain temps, laisser de l'eau couler sous les ponts... avant de recommencer, tôt ou tard.