truth or dare (nj)

i. please introduce yourself.
Coupée au tiers ; masque fragile, contre deux autres remplis à ras-bord d'une personnalité propre. Fille d'un ancien du pays et d'une immigrée, NJ est au carrefour de l'ailleurs et des racines. Tôt, elle engloutit les désirs parentaux, alors soucieux de (re)trouver leur place à Silver Grove ; en public, elle fait comme on lui demande, poupée sage, gigotant sur son siège -l'immobilité viendra plus tard, à la conclusion d'années de mimétisme. En privé, Nora Jane s'entoure de romans policiers, code en morse contre le mur fin la séparant de la chambre de Wes -ce dernier, bonne pâte, se plie à ses interminables parties de Cluedo, qui au fil du temps s'espacent, pour ne plus être sorties au lycée de sous le lit qu'au grand ménage de printemps. NJ a perdu le temps d'être elle-même : il y a les entraînements de gymnastique, l'école du dimanche, les cours de coréen, le comité d'élèves, les baisers mouillés avec Dorian Baxter, les camps d'été, les camps d'hiver, Miss Teen Oregon, l'oscillation entre l'enfance et l'âge adulte qui guette, sévère.

Après l'été, les sourires se perdent. L'automne de Nora Jane dure depuis dix ans, figeant avec lui des études avortées au stade du rêve, la réalité d'une passion tiède, qu'elle quitte d'un « Dorian, on arrête » sitôt qu'elle menace de les y enfermer pour toujours et à jamais. Faisant de ses atours une carrière, NJ s'y entête, conditionnée à croire qu'il s'agit là de la finalité de son existence. Alors elle revient à Baxter, s'accroche à son pedigree et aux promesses d'un bel avenir en cage, sa mère lui soufflant le reste du scénario depuis les coulisses.

ii. mean streets of silver grove.
Silver Grove dans les veines. Sun-Pil a voulu faire d'elle le rêve américain(e) incarné ; portée comme un trophée dans la ville, preuve absolue d'intégration, Nora Jane débute sa vie sociale sur les chapeaux de roue. Trimbalée aux goûters de camarades riches comme Crésus quand elle préférait lire dans sa chambre, flanquée d'une robe de tennis qui gratte au col, elle ne tarde pas à être accompagnée dans ses obligations par son frère cadet ; les cheveux noirs et les yeux en amande des enfants Jones fascinent, effet doublé par la proximité qui les unit. L'effet miroir perdure en dépit des différences affirmées, encore aujourd'hui ; si Wes est d'une gentillesse honnête, ange (idiot parfois, il faut le dire) auprès des Hommes comme des bêtes, NJ, plus farouche, se terre derrière un mur d'apparences où elle dessine de beaux sourires à volonté -ou presque. Chassez le naturel -NJ peine à tenir la bride.

iii. we're all mad here.
(malaises à répétition) Les causes sont multiples, fluctuantes, dépendent de variables que NJ elle-même peine à discerner encore aujourd'hui. Souvent un choc physique, émotionnel, une angoisse, une poussée de stress violente, un changement dans l'air ; et Jones s'écroule, inconsciente. Avec le temps, elle a appris à prévenir certains symptômes, outrepasser parfois la syncope qui se profile à l'horizon -sans parvenir à expliquer fondamentalement la raison mécanique de ces coupures symboliques. Jane le sent, qu'au fond c'est le cerveau lâche devant la réalité du monde. Jane, lâche, qui se dérobe d'elle-même, ferme l'oeil de sa conscience sur les vérités qui gênent.

iv. something strange in the woods.
(détecteur de mensonges) C'est comme un scanner, dans le crâne de Jane ; une réponse, une réplique qui sonne faux, et une alerte lui étreint les sens comme un pressentiment furieux. Jones, éprise de justice de la première heure, flaire le mensonge dans les mots, passe outre les ronds-de-jambes, repère l'anguille qui se terre sous la roche de vos plus beaux atours. Ce n'est pas une science exacte ; si Jane a de l'expérience en tant que Miss-Je-Sais-Tout, la sensation de vérité voilée est plus ou moins forte, se confond plus ou moins avec l'affection qu'elle peut avoir pour l'autre, avec ce qu'elle croit déjà connaître -avec ses propres mensonges. C'est néanmoins utile, quand elle veut s'assurer de l'amour de Dorian, du silence de Mal sur leurs visites respectives, de la fraîcheur du poisson qu'on lui vend à  -c'est encore plus utile, quand elle reste, elle, insensible à ce don du ciel et peut continuer de vaquer à son hypocrisie quotidienne.