l'attrape-rancœurs ⸗

i. please introduce yourself.
les deux faces d’un même pièce qu’on fait sauter. les deux faces d’une même personne qu’on saute. sam l’a toujours évolué avec l’impression d’être deux. la vie qui se joue en paire, en miroir. sam et shahram. le gay qui se refoule et l’hétéro qui se joue. la victime et le bourreau. se lever en mec lambda et se coucher en schéhérazade. pas un, des.
ego-trip à la con, peut-être complexe de supériorité. ce qu’il a dans la bouche, ce que représente sa bouche, ça lui fait gonfler la poitrine et regarder de haut. l’a une emprise sur les autres, sam. aujourd’hui. pas seulement une histoire de salive magique, surtout celle d’une aura. d’un charisme. parfois il est question de peur, même. parce qu’il est intimidant, ce gars ; on sait qu’il fait la pute mais on ose pas lui dire grand chose. on a entendu des choses sur lui, son nom s’est glissé dans les journaux jusqu’aux oreilles des habitants. on comprend pas forcément parce que « on dirait pas », mais y’a cette image de danger qui colle à sa peau. alors l’a beau être pédé, l’a peut être un tapin, il fait bien ce qu’il veut. ce pouvoir de dissuasion passif, il l’aime, sam. savoir qu’il fait peur lui enlève la sienne, celle avec laquelle il se levait lorsqu’il était jeune.
sam, comme âme avec un -s. le garçon pluriel.

ii. mean streets of silver grove.
on l’y a envoyé parce qu’il faisait honte. parce que c’était mauvais pour l’image qu’on avait essayé de construire. le nom qu’on placarde dans les journaux locaux, l’hérétique qu’il faut éloigner. alors sam, on te donne de l’argent et tu dégages, tu refais ta vie. on n’existe plus, si on te le demande tu devras dire que tes parents sont morts. on fera pareil pour toi.
débarqué ici y’a quoi, cinq, six ans peut-être. lui-même ne sait plus quand il a dérapé, alors lui-même ne sait plus exactement quand il est arrivé. terre vierge de tout jugement, là on le dévisage pas. en lisant son nom on ne tique pas dans ce coin-ci du pays, l’a tué personne. ici l’est gentil, même si on essaie de pas trop l’approcher. y’a que c’est une pute, alors si on veut causer faut être discret ; et y’a que c’est un homosexuel, alors faut pas trop le toucher pour par le contracter. en arrivant ici, sam il comptait pas trouver des gens plus tolérants que là-bas. cherchait simplement à vivre là où il n’y aurait personne qu’il aurait envie de tuer.


iii. we're all mad here.
l'a de la chance, sam, il sent rien, sam. pas grand chose, plus grand chose. le système nerveux il capte pas l'information, pas bien. l'assimile pas les drogues, bénéficie pas de ses effets. avec des jolis mots on parle de tolérance pharmacodynamique. l'effervescence on la décale par rapport aux autres. l'est résistant aux drogues, sam. plane jamais, sourit jamais bêtement comme un con, parle jamais aux objets en attendant une réponse. pourrait consommer plus pour forcer son cerveau à assimiler la décadence, mais l'est trop blasé pour le faire. ces merdes ont aucun effet sur lui alors il en veut pas. il est pas assez con pour dépenser sans profiter.

iv. something strange in the woods.
il en fait voir de toutes les couleurs, lui. magicien qui distille quelques gouttes de paradis artificiel. salive au goût de reviens-y, salive qui fait planer. salive psychotrope. qu'il crache dans un verre ou roule une pelle, la salive glisse d'un corps à l'autre et agit comme une drogue sur l'autre. les effets varient selon la personne. c'est l'équivalent d'un joint ou deux, de quoi se mettre bien. y'en a à qui ça fait rien, d'autres que ça monte en l'air. y'en a qui gèrent bien, qui sont juste euphoriques le temps d'une baise. d'autres qui aime et en redemandent, deviennent accrocs. pour ça que ses lèvres sont prisées, embrassées et mordues. on sait pas pourquoi, on veut pas savoir pourquoi. mais elles nous emmènent ailleurs.