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Une soirée organisée par un pote.

Ou plutôt quelqu'un qui n'me veut pas qu'du bien.

J'ignore encore c'qui s'prépare.

Alors, j'reste là. J'prévois d'quoi manger pour c'soir et j'décide d'me poser dans c'coin du cimetière.

« Ah. T'es v'nue quand même Sadie. Ravi d'te voir là. J'croyais qu'tu t'ramènerais pas. Sérieux, j'te pensais pas comme ça. Tu m'épates. »

« T'es sérieux, là ? T'as cru qu'ça m'apeurerait de passer la nuit, ici ? À part des tombes, y a rien. C'bon, y a pas d'raison d'avoir peur. C'toi qui a un souci à avoir cru qu'j'viendrai jamais. »

J'prends mon sac contenant ma bouffe, m'rapprochant d'mon pote et lui proposant l'un des sandwichs qu'j'ai. Ou alors l'paquet d'chips. Peu importe. Il y en a assez pour deux, peut-être même plus. En fait, un régiment complet pourrait être nourri.

Puis j'commence à sortir de quoi mettre de la musique sans m'préoccuper de si quelqu'un s'rapproche d'nous ou pas. En attendant, mon pote a l'air mal à l'aise soudainement. Et j'me demande quelle en est la raison sans trop m'en préoccuper.

« Eh, ça va ? Qu'est-ce que t'as ? »

« Une fête au cimetière ? T’es sûre de toi, Mal ? ». « Bah ouais. T’sais, c’est un peu comme fêter Halloween sauf qu’c’est pas la saison. Aller Pete’, détends-toi, prépare de la bonne soupe pour ta p’tite femme et réfléchis au prénom du futur Peter Junior. ». T’as les pieds qui s’balancent dans l’vide, la silhouette qui s’enfonce dans le canapé du frangin, tu lui lances des œillades curieuses alors que Peter Grayson s’active en cuisine, torse large décoré d’un ridicule tablier à fleurs, tu t’es pas gêné pour te moquer quand il est venu t’ouvrir la porte dans cette tenue. Tu finis par chasser la paresse passagère, un dernier regard pour ton ainé et tu t’envoles. « Aller, j’te laisse, baise pas ta femme trop fort, tu vas faire mal au bébé. ». « LANGAGE, MAL. ». Est-ce que ça t’arrive d’avoir des limites, Mal ?

I'm hiding out in the darkest of pubs
Surviving on shadows and cold icy mugs
So come on bartender
Don't hold nothing back
Tonight I'm wearing black

Habillé de noir, de la tête au pied, visage tâché de maquillage effrayant, tu avais joué la carte de l’horreur jusqu’au bout avec cet espèce de costume de diablotin. La foule t’accueille, mélange de réactions amusées, perplexes, désabusées, ton rire se mêle au brouhaha commun.

C’est le profil d’une Monroe qui se dessine au centre de ton viseur et, comme une sorte de précaution, tu t’assures que Gang ne soit pas dans les parages. Tu comptais pas te taper sa soeur mais à savoir ce qu’il risquait de s’imaginer.

Ombre dans la nuit, tu te faufiles dans son dos, faisant signe à son ami de ne pas te griller. Et lorsqu’elle lève la tête, tu prends ta voix la plus grave possible. « Vous marchez sur ma tombe, Mademoiselle Monroe. ».

Tout c’dont j’ai envie c’est d’pouvoir profiter d’la nuit pour faire flipper mon pote qui me pensait trop craintive pour m’ramener ici. J’arrive à garder patience, ignorant totalement qu’y aurait d’autres personnes qui débarqueraient aujourd’hui.

Et putain, quelle surprise qu’de m’rendre compte qu’au final, c’est qu’une fête était prévue. Putain. J’étais au courant de rien. Alors j’sais bien qu’j’suis du genre à apprécier la foule, l’mouvement pour pouvoir m’fondre facilement dans la masse mais au stade de ne m’avoir prévenu de rien, quelle connerie.

La vengeance sera parfaite. J’y songe déjà, petit à petit. Puis comme j’me doutais de rien, en plus de ça, fallait qu’y ait un des gars farfelus connaissant mon frère parmi les nouveaux venus. Bordel, tout va bien. Vraiment tout. C’pas possible, ça !

Alors j’tente d’me contrôler, j’essaie de sourire pour que rien ne paraisse avant d’me tourner face à celui qui hausse la voix, histoire que je puisse suffisamment l’remarquer pour lui répondre.

« En effet, j’marche sur ta tombe, ça te gêne, peut-être ? J’ferais même mieux de l’utiliser en tant que lit : sûrement qu’elle est confortable. » ayant du mal à me maîtriser. « T’en dis quoi, toi ? » que je lance à mon ami, de façon à ce qu’il comprenne que je n’en resterai pas là.

« C’était prévu, tout ça ? Ou alors, absolument pas et t’as eu la brillante idée de venir au même lieu, à la même heure, dis-moi ? » dis-je à celui qui se situe désormais face à moi.

Parfois, c’est comme si ta tête était prisonnière d’une bulle imperméable au déferlement d’émotions extérieurs. Les gens pouvaient te hurler dessus, pleurer à tes genoux, cracher leur venin entre tes deux yeux, tant que tu n’avais pas décider d’activer le son dans cette cabine insonorisé, rien ne passait le barrage de tes oreilles.

Quelques parts, Sadie te faisait penser à ta soeur. Princesse de la Famille Grayson, le regard hautain, comme si le reste du monde tenait entre son pouce et son index. Les crocs acérés, la langue de vipère constamment en mouvement, prête à faire couler son poison. Constamment en colère, bien souvent contre toi, et même dans ses sourires, la tornade passait par ses yeux assassins.

Ses provocations font résonner ton rire entre les tombes, t’as le buste qui s’tord, le sourire qui flanche, les yeux qui pétillent d’une lueur agaçante. « Un lit, hein ? Oh, non, ça me dérange absolument pas qu’une jolie gonzesse s’allonge sur mon cadavre enterré. Chacun ses fantasmes, j’imagine. ». Puis, fallait dire que t’avais des fantasmes sacrément chelou aussi, Mal. Fais pas l’innocent, on se souvient tous de ton rêve érotique avec la faucheuse sexy.

Sadie te fait face, persuadée que cette rencontre n’est qu’une mascarade organisée de toutes pièces. Tu regardes à droite, à gauche, un tour sur toi-même, le regard perdu, tu glousses un instant avant de répondre. « Tu me demandes à MOI si quelque chose était PRÉVU ? ». T’étais probablement le mec le moins organisé, le moins calculateur et le plus impulsif qui existe dans cette ville de ploucs. « Oh Chérie, tu me connais si mal. Même si je l’avais voulu, j’aurais été incapable de prévoir cette soirée. ». Et le pire, c’est que tu t’en vantes.

« On dirait bien que c’est un coup du destin, pas vrai ? ». Oh, pitié Mal, lui sors pas des disquettes à la con, ça va la foutre en rogne et tu sais très bien qu’il vaut mieux pas énerver un Monroe.

J’reste plantée devant le pseudo cadavre, le mec qui, j’l’avoue, a une peau assez blanche qui pourrait ressortir avec celui d’un cadavre mais quand même. Il n’faut pas abuser. J’attends qu’il m’réponde. J’m’attends absolument pas à une réponse sérieuse d’sa part. Suffit d’capter son regard, d’comprendre ce qui en ressort pour savoir qu’c’est pas du tout c’style de gars, là. Encore moins quand j’le vois sourire avant d’parler.

S’allonger sur son cadavre enterré… Parce qu’en plus d’avoir une tête de bel idiot peu crédible, il a ce genre de réflexions à balancer. Pourquoi ne pas répondre à une provocation par une autre ? Après tout, il a l’air d’apprécier ce genre de petit jeu, là. Puis celui qui me sert d’ami a déjà prévu de quitter le cimetière. Dure réalité.

« Ne prends aucunement tes fantasmes pour ceux d’autrui. Pour un cadavre, ce serait totalement normal d’apprécier ça, remarque. Les tombes peuvent être facilement confortables. Toi, par contre, j’en doute. Il ne suffit que d’avoir une couverture pour que ça le soit suffisamment pour passer une nuit, ici. »
Bien évidemment que c’est à toi que je pose la question puisqu’apparemment, nous sommes les deux idiots à être restés coincés là. Plutôt que d’avoir préféré quitter l’endroit, non, on est plantés tels deux cons, à converser, à échanger des petits pics. Rien de normal, à voir.

AH. Parce qu’en plus d’avoir l’air idiot, non sérieux, t’es également pas capable d’organiser quoi que ce soit ? Eh bah putain. Si ça, c’est une chance de te rencontrer…

« On dirait bien que c’est un coup du destin, pas vrai ? » quand j’l’entends dire ces mots, j’reste un instant sans réagir. Parce que j’constate derrière lui qu’tous ont pris l’initiative de déguerpir, ce, sans nous prévenir. Et ça, c’est clairement pas quelque chose de normal. « Coup du destin, s’tu veux. En attendant, il n’reste que nous deux, là. Tous s’sont barrés et j’sais pas pour quelles raisons. Tu fais autant flipper qu’ça, ou c’moi ? »

Les mots couteaux de la demoiselle te coupent la peau, tu pourrais presque en saigner de partout mais ton sourire reste imperturbable. Tu remarques à peine son ami s’envoler, les âmes fiévreuses quitter le cimetière, alors que ton ombre est enterrée au pied de Sadie. « J’ai énormément de fantasmes, il est vrai. Mais, malheureusement pour toi, les nuits torrides au milieu de pierres tombales n’en font pas partie. Après, je suis quelqu’un de trèèès ouvert. Je ne dis jamais non à une jeune fille curieuse. ». Ca sonnerait presque faux, entre tes lèvres. Cela dit, pour les femmes, tu pouvais te plier en quatre, c’était un fait avéré.

Tes doigts glissent sur la pierre alors que ton corps se rapproche un peu plus de celui de Sadie. Proximité à peine envahissante, tu aimais être proche des gens avec qui tu conversais. Et plus t’y penses, plus tu te dis que si Joseph était dans les parages, tu serais déjà mort. Dans ce genre de moment, tu penses à Freckles et sa soeur. C’était pas ta faute, t’avais jamais dragué sa frangine. Mais elle, elle t’avait chauffé comme personne. C’était pas ta faute, ouais.

« Que nous deux, hein ? ». Que tu dis en te tordant dans tous les sens pour sécuriser le périmètre. C’est qu’elle avait raison, la p’tite dame. Pas un chat à l’horizon, ils avaient tous déguerpi comme des lâches. Etrange mais est-ce que tu en avais quelque chose à foutre ? Pas le moins du monde. « Comme c’est dommage. ». Ton ironie était tellement puissante qu’elle aurait pu rendre vie au vieux Robert Johnson enterré à deux tombes de là.

Un rire t’échappe alors que tu te noies presque dans ton bain de confiance. Tu hausses les épaules en appuyant ton avant-bras contre la stèle funéraire. « C’est peut être toi qui les a intimidé avec ton regard revolver, qui sait ? Après, c’est vrai que je fais peur, un peu. Mais toi, t’es toujours là. Ça prouve bien que je fais pas fuir tout le monde, non ? ». Un clin d’oeil s’envole, ta voix roule sur le silence macabre. « T’as peur d’être toute seule avec moi ? Ou t’es curieuse ? ».

Alors en plus d’être dans une situation assez farfelue et non attendue, j’me situe désormais seule avec ce gars que je ne connais que de vue. Bordel, le jour où quelque chose de banal se produira dans ma vie, j’crois qu’j’me poserai une multitude de questions. Le plus éprouvant dans tout ça c’est qu’il a l’air d’avoir le sourire posé sur le faciès quoi qu’on puisse lui dire.

Enormément de fantasmes. Ai-je bien entendu ? Enormément de fantasmes ? Parce qu’il prend vraiment ce jeu de réponses à cœur ? Etonnant ça. Ne jamais dire non à une jeune fille curieuse ? Aurai-je de quoi m’inquiéter ? Si c’est ce que tu tentes de faire en me balançant ce genre de paroles, tu ne sais vraiment pas qui tu as face à toi. « Et ensuite c’est moi qui te connais mal. »

Putain ouais. Que nous deux. On est les seuls présents au cimetière. Comme s’il fallait que ça me tombe dessus ça aussi. C’n’était vraiment pas la plus belle des semaines celle-là. Vivement la prochaine que je me contente de penser. « T’as tellement l’air triste de le remarquer. Tu m’en ferais verser des larmes. »

Mon regard revolver ? Comment ça, regard revolver ? Parce que tu vas me la jouer Jack Brel, maintenant ? Pour être surprenant, tu l’es. Du moins, il y a de quoi ne pas s’ennuyer avec toi, j’le sens. C’pour cette raison-même qu’j’décide de ne pas virer de là. « Être seule avec toi ne me dérange aucunement. D’ailleurs. Comment ça s’fait qu’tu connaisses mon nom ? » Ouais, j’suis du genre à bouillonner d’l’intérieur, à faire changer l’sujet, à faire croire qu’rien n’m’bouscule l’esprit jusqu’au moment opportun. Celui où j’me dis qu’il ferait bon d’poser la fameuse question qui aurait pu sombrer dans l’oubli.

Les Monroe et les Grayson n’étaient plus des inconnus, depuis le temps. Caedan Monroe et Bruce Grayson étaient deux vieux compères de longue date qui laissaient les têtes de leurs petits enfants se cogner les unes contre les autres. C’est par un de ces après-midis d’ennuie que t’avais rencontré Joseph, petit bonhomme bien en chair, à peine plus jeune que toi. Deux mômes de six-sept ans, on les colle ensemble parce qu’on se dit que deux garçons vont forcément s’entendre l’un avec l’autre. C’est bien connu, après tout. On fout les mecs ensemble pour qu’ils deviennent potes et on mélange les sexes pour un mariage futur. Ironie du sort, ces démarches bourrées de testostérones ne vous avaient pas empêcher, l’un comme l’autre, de trouver de l’intérêt dans le même sexe. Fin de la parenthèse.

Ta réputation te précédait souvent, c’est pourquoi on pouvait te qualifier sans retenue de cauchemar des grands frères. Tu étais pour ainsi dire le portrait typique du “Fuck Boy”, le garçon qui ne rappelle jamais, le garçon d’une nuit, le garçon collectionne les conquêtes, le pire gendre possible, personne ne voudrait te retrouver dans le lit de sa soeur. Quand bien même Jackie était la seule au courant pour NJ et toi, cela n’empêchait que beaucoup restait sur leurs gardes. Mais tu ne faisais que discuter, rien de plus. N’est-ce pas ?

Sadie, tu la connaissais pas tant que ça. Juste une ombre qui passe quand tu rends visite à Jo. Si la plus âgée ne t’était pas inconnue, la plus jeune était encore un mystère. Quelque part, tu te demandais si Gang ne t’avait pas délibérément tenu éloigné d’elle. Mais tu étais du genre vicieux. Tu désirais d’autant plus ce que tu ne pouvais pas avoir, l’interdit, le dangereux. « Comment je connais ton nom ? ». Tu pouffes à peine de rire, un sourcil redressé. « Jo a peur que je touche à sa précieuse petite soeur, bien sûre que je connais bien ton prénom. Je suis pas suicidaire, j’évite de toucher aux frangines de mes potes. Ou plutôt aux frangines des mecs qui peuvent me briser la mâchoire. ». Cependant, tu te rapproches, le même sourire qui chatouille le coin de tes lèvres, ton pouce frôle ta lèvre inférieur. « Quoi que, même ça, ça m’arrête pas. »

J'avais beau m'dire qu'il se faisait tard et qu'il serait préférable que je rentre chez moi pour être, au mieux, aux côtés de Joe. D'autant plus que ces temps-ci j'le foutais dans la merde plus qu'autre chose, qu'ça causait une tonne d'embrouilles, qu'il tentait d'prendre ma défense chaque fois qu'notre père adressait la parole à mon sujet. Parce que ouais, j'suis loin d'être une fille facile. Loin d'être le genre de gamine disant oui à tout. J'suis l'genre de fille rentre-dedans, refusant d'se rabaisser face à son propre père qui n'vaut par ailleurs, pas grand chose à ses yeux. Encore plus maintenant. À croire que plus le temps passe et pire c'est.

Pourtant, il y a une partie de moi qui désire en savoir plus. Une partie de moi bien trop curieuse pour partir sur un simple c'était pas plus mal d'se retrouver seuls. malheureusement, j'dois m'barrer. l'père casse-balls risque d's'emporter, sinon. . Ouais, vraiment. J'm'imagine pas partir de sitôt. Alors j'reste bloquée sur ma question, attendant une réponse correcte cette fois et non une connerie balancée, comme ça, sans grande conviction.

C'pour ça qu'lorsque j't'entends pouffer d'rire, j'relève la tête, lançant un regard droit dans le tiens. Pourquoi pouffer de rire suite à une telle question ? Sérieusement ? Il y a quoi de drôle ? J'me l'demande bien. Alors j'reste attentive pour une fois.  « Ah. J'comprends mieux. Rien qu'ça. » J'suis tentée d'lancer un pitoyable mais j'm'en retiens. J'sais pas. J'te connais pas tant qu'ça, j'ignore quelles réactions tu pourrais avoir ensuite. « C'serait triste d'agir selon les dires d'autrui. Franchement, t'es assez grand pour savoir ce qui est réalisable, non ? Joe, t'fait donc si peur que ça ? Pourtant, il est loin d'être violent. » sur un ton ironique, bien sûr. J'sais très bien ce que Joe serait capable de faire. Du moins, j'l'imagine. S'il y a une chose dont j'suis certaine c'qu'il vaut mieux ne pas trop l'agacer lui qui est si soucieux à mon sujet parfois. Remarquant ton rapprochement, j'prépare l'une d'mes plus belles phrases avant d'la laisser sortir de ma bouche « Quoi que. C'vrai qu'physiquement, en deux secondes, t'es au sol. Tu n'serais pas sur l'tombeau mais dedans très rapidement. ».

Sadie était une jolie fille, c’était une évidence. Le genre de nana au charme incandescent, un feu d’artifice plein de couleur qui t’arrache la peau qui tu tentes de le contenir entre tes doigts. Le genre d’explosion qui rend sourd et aveugle, qui ravage tout sur son passage et qui laisse une traînée de poudre fumante. Et la braise te ravage les doigts, fait pétiller tes yeux et même si tes mains rouges seront bientôt couvertes de cloques, tu continues d’admirer la couleur nébuleuse de la brûlure avec un sourire incrédule.

Son panache oratoire et sa condescendance forment ensemble une sorte d’ignition autour de tes prunelles. T’aurais pu taper du pied, hurler à la lune en bon loup affamé, la salive inondant tes babines, la langue pendante et la gueule grande ouverte. A la place, tu te contentes d’un simple sourire malicieux avant d’hausser les épaules. « C’est bien parce que je sais de quoi je suis capable que je garde mes distances. ». Oh ça, ce n’était plus à prouver. Y’avait une bonne moitié de la ville qui pouvait affirmer sans aucune hésitation de quoi tu étais effectivement capable. « Je mentirais si j’disais que Jo’ m’fait pas flipper quand il est en rogne. Eh puis, les mecs comme moi, qui ne sont pas taillés comme des armoires à glace, on a tendance à pas trop s’la ramener devant les petites brutes. Ou, en tous cas, on apprends à courir vite. ». Et dans la catégorie lâche, t’étais le meilleur de tous, spécialité fuite super-sonic. Du grand art.

« A vrai dire, c’est plutôt du donnant-donnant. Je touche pas à sa précieuse petite soeur adorée et lui, il me refait pas le portrait, c’est simple. ». Un bon compromis, après tout. Si seulement tu pouvais avoir ce genre de marché avec les mecs jaloux qui te cherchaient des noises en se basant sur des racontars de ruelles. T’as les mains qui s’enfoncent dans tes poches, t’as presque l’air gêné quand t’ajoutes. « T’façon, il m’aime trop pour me péter la tronche. Et moi, j’l’aime trop pour lui faire ce genre de coup de pute. ». Tu faisais déjà ta pute avec NJ et Wesley. Inutile d’allumer un incendie quand l’bâtiment était déjà réduit en cendre.

Si j’avais eu autre chose de prévu, c’est quasi certain que j’aurai réagi comme les autres en quittant le cimetière sans rien dire ; partir tout simplement sans prévenir. Mais là, j’devais avouer que rien ne me tentait. C’pour cette raison-là qu’j’optais pour rester avec toi, en réalité. Non pas que j’appréciais réellement ta présence. Ni que j’avais une once de doutes à ton égard m’poussant à vouloir en apprendre plus à ton sujet.

La réalité c’est que, n’ayant rien de plus à faire, entamer la conversation avec toi, ça ne me dérangeait pas. Après tout, quitte à être deux ici, autant le rester et en profiter pour faire connaissance. Voire pas du tout. Tu sais de quoi t’es capable ? « À t’écouter là, t’es le mauvais gars de la ville dont toutes les filles doivent se méfier. »

Sincèrement, j’savais pas tes préférences. Et vu l’époque dans laquelle on est, j’sais qu’vaut mieux éviter d’crier sur tous les toits qu’on est loin d’être comme la société le voudrait. C’pour ça que j’me lance dans un les filles plutôt que d’tenter d’savoir si t’es dans l’même cas qu’moi.

« Ouais courir vite tel un lâche le ferait en cas de problème plutôt qu’être sur la confrontation. Rien d’plus ni moins, en fait. » comme toujours, j’suis franche et directe. Peu importe la situation. Peu importe la personne face à moi.

« Et t’es conscient que j’suis pas une offre sur le marché ? Quand j’entends tes paroles, on dirait qu’c’est l’cas. Qu’Joe t’ait dit ça c’est une chose. Qu’il le sache, c’en est une autre. » moi, tenter de jouer avec le feu ? bien sûr que non. Quoi que… « Tant d’amour entre vous deux. »

Certains mecs pourraient se sentir vexés par cette franchise tranchante mais pas toi. T’étais du genre à admettre tes défauts, parfois même à en être fier. Après tout, tout n’était qu’une question de point de vue. Coureur de jupons ? Tu préfèrais le terme Charismatique. Menteur ? Plutôt un rêveur éveillé. Inconscient ? Audacieux serait plus juste. Lâche ? « Je me qualifierai plus de Stratège. Après tout, je sais ce que je vaux, moi. Si jamais je juge ne pas être à la hauteur, je sais me retirer quand la situation devient trop compliqué à gérer. J’anticipe, ma belle, j’anticipe ! ». Tu baratines sur un ton rieur, t’es vraiment pas le genre de gars à te prendre au sérieux pour des broutilles pareilles.

Un lâche, bien sûre que t’en étais un. De père en fils, même. Ton papy disait même que c’était ça, qui faisait craquer les filles. Plus tu les fuyais, plus elles te courraient après. Et toi, tu t’arrêtais jamais de courir. « Je cours tellement que maintenant, j’ai des mollets en béton. Si t’es sage, je te laisserai même les toucher. ». T’es si peu sérieux qu’au final, on sait même plus quand tu plaisantes ou non. « J’pense pas qu’elles se méfient. Par contre, leurs frères, un peu plus. Pourtant, je suis pas un mec dangereux ! Enfin, question de point de vue, j’imagine ? ». Tout dépendait de ta définition de Dangereux, évidemment.

T’hausses mollement les épaules, t’as les mains qui te démangent au fond de tes poches et les iris qui scintillent. « Les meufs comme toi, on les achète pas en un claquement de doigts. Les meufs tout court, d’ailleurs. On serrait pas constamment là, à vous courir après, si vous étiez aussi facile à prendre qu’un objet, non ? ». Tu la regardes bien, la petite Monroe et t’as ton alarme qui sonne. Tu sais, celle que tu qualifie de “Stratégie”. Il est pas trop tard pour reculer, Mal. Un coup sur le frein, les pneus qui crissent et t’évites le mur de briques dans le pare-brise. « C’est vrai qu’on est chou, tous les deux. C’est pour ça que l’heure de mon départ est arrivé. Comme tu dis, les lâches, ça s’arrête jamais de courir, pas vrai, ma belle ? ». Un clin d’oeil t’échappe dans la pénombre et t’es déjà loin alors qu’elle bat encore des cils. Tu devais vachement l’aimer, ce Jo’, pour fermer les yeux devant un flirt tout feu tout flamme. Fais pas l’innocent, Mal. T’as juste peur pour tes couilles.