(jayce) all the animals come out at night

☽ vanités

i. please introduce yourself.

Truand, bandit, ribaud, raclure, cafard, autant de quolibets dont on l’a affublé. Sa réputation n’est plus à faire, tous connaissent l’identité du tenancier du sordide boui-boui qui frelate la façade lisse de Silver Grove. Un homme rude, ambitieux, infiniment cupide, qui a l’hiver dans les yeux et l’orage dans le cœur. Son ire est à craindre, sa rancune tout autant. Un animal abject qui utilise la violence comme d’un instrument pour consolider le joug qu’il exercice sur son petit empire ; un produit des circonstances de son existence, somme toute. Dès son plus jeune âge, on lui a appris à se méfier, à se montrer cauteleux, à ne pas jouer selon les règles, à voler aux placides, et de faire passer le clan avant toute chose. Une internalisation des stigmates qu’on lui a prêtés ; le crime est ce qu’il a toujours connu, est le lait maternel qu’il a tété au sein de l’indigence et du rejet du conformisme. Néanmoins, le O’Hara n’est pas une brute vierge de finesse ; maintes combines absconses prennent lieu au club, les rouages sont bien huilés pour passer sous le radar de la justice scrutatrice. Finaud, donc, sous sa dégaine comminatoire, et charmeur ; il sait se montrer plaisant, sait susurrer les mots sirupeux qu’il faut. La main de fer dans le gant de velours, comme le stipule l’archaïque adage. Jayce ne demeure pas moins l’esclave de ses propres vices et pulsions, un type troublé et pas franchement équilibré, un fusible toujours sur le point de griller.
Pourtant, gérer ce bouge réprouvé n’est pas la somme de ses ambitions. Comme beaucoup de truands, Jayce aspire à s’engraisser suffisamment, pour tirer ses proches de toute cette merde et de cette violence interminable, de foutre Silver Grove dans le rétro et de ne plus jamais y revenir, de recommencer une page blanche quelque part ; pourquoi pas en Irlande.  


ii. mean streets of silver grove.

C’est à Silver Grove que Jayce a poussé ses primes vagissements et c’est fort probablement là qu’il expirera son dernier soupir. Le O’Hara est une tache noire sur le canevas idyllique qu’est la petite ville aux apparences pittoresques et guindées. Il est ce que les gens lisses de cette bourgade abhorrent ; une bête des bas-fonds impénitente qui fait fond de commerce sur les vices des pères de famille tirés à quatre épingles. Frappés d’ostracisation depuis des décennies, les O’Hara, poussés jusque dans les franges marginales de la société, ont fini par embrasser ces stigmates et se sont tournés vers le crime pour prospérer. Jayce est couvert d’opprobre, dénigré, craint, parfois jalousé, et n’a pour réponse qu’un majeur levé et un sourire sardonique aux lèvres.

iii. we're all mad here.

Désorientation temporelle. Des pans entiers de son existence qui deviennent de vagues échos, des photographies fanées, dont l’ordre chronologique lui échappe. Il trébuche sur les dates, les jours fondent les uns dans les autres, un flou qui le laisse hagard, confus ; il s’achoppe à des événements qu’il ne parvient plus à replacer, comme si vécus par une tierce personne. Des troubles mnésiques qu’il a initialement mis sur le compte de l’abus de substances, des troubles qui l’inquiètent de plus en plus et qui grignotent peu à peu son identité, comme un navire à la dérive.

iv. something strange in the woods.

Le temps qui se dilate, les secondes qui s’égrènent avec l’indolence d’une éternité, qui se figent ou au contraire qui déferlent comme un torrent. Des boucles qui s’entrelacent, des impressions de déjà-vu, qui magnifient la désorientation temporelle de Jayce et qui le laissent superbement perplexe. Ces sensations remontent à l’aube de son existence, sempiternels compagnons, tout du moins le croit-il, un pouvoir qui balbutie à peine, qui effleure avec mollesse sa conscience, somme toute une larme émoussée qu’il lui faudra fourbir s’il compte un jour la maîtriser, ce qui n’est guère le cas pour l’heure. Le temps après lequel on court, cet insidieux et implacable ennemi, qui peu à peu se mue en allié formidable.


☽ page blanche

(violence)

Un lent sourire éclot sur ses lèvres. C’est un rictus laid, qui n’augure que du laid, qui froisse le faciès pourtant à l’accoutumée avenant. La pogne se brandit, se crispe sur le poing américain jusqu’à ce que les jointures blêmissent, promesse muette de ravages à venir, qui se conjuguent à ceux déjà perpétrés, comme en témoigne la robe écarlate dont s’est parée l’arme. « Alors ? » susurre-t-il d’un air candide, toujours en grignant ignoblement. Il contemple d’une prunelle froide les ruines du visage sur lequel il s’est acharné ; il n’y a pas de tempête, pas d’emportement, la violence est froide, calculée, un simple moyen d’arriver à ses fins. Toujours pareil avec ces scélérats, ça contracte des dettes à n’en plus finir à vouloir jouer au roitelet et ça perd en superbe à la seconde où il faut cracher. Ce qui mène directement à ce genre d’événement peu plaisant.
Seuls des borborygmes inanes lui répondent, jusqu’à ce que le type crache une gerbe de sang et parvienne à expectorer un : demain, t’auras ton fric demain. Un éclat nouveau dans les yeux, Jayce se détend, les épaules s’affaissent et il repose presque en douceur le pauvre diable au nez éclaté et à la dentition malmenée. « Je préfère ça. » Il se départit de l’arme et observe ses mains d’un air absent ; sales, couvertes de sang et contusionnées. Quand ne l’ont-elles pas été ? Il ne se souvient plus.



☽ cabinet de curiosités
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©️ solosands

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