give me a hint (joseph)

Journée chargée, repos mérité. Le moteur s'éteint dans un soupir, sur le parking du Night Owl. Idéalement, Jerem' serait directement allé se garer devant chez lui, aurait traîné son corps courbaturé de reporter un peu trop occupé à l'intérieur et se serait ni une ni deux fourré dans ses couvertures. Mais bon, rencontrer son ami d'enfance pour un - ou plusieurs - verre(s), il a connu pire, comme perspective de soirée. Il y a par exemple eu celle de traîner des heures dans l'Ace of Spades, en charmante compagnie (j'ai nommé la police), pour y tourner un sujet sur les trafics illégaux. C'est sûr que dans ce contexte, il s'était fait bien voir de certains de ces anciens camarades de lycée - "tu travailles avec les keufs maintenant, le rouquin ?". Ou pire, celle d'une veillée au catéchisme. Quoique, quand bien même ces veillées s'étaient présentées à lui comme des corvées insurmontables, le jeune homme se souvient qu'elles ne l'étaient pas tant que ça, puisque Joseph avait été là pour faire passer le temps. Ce bon vieux Jo', qu'il attend à présent, attablé dans ce petit café qui les a vu grandir - parce que oui, même avant 21 ans, ça y allait, on peut se le dire.

A son retour de Californie, Jeremy a été frappé par le côté très rural de l'endroit. Pendant son adolescence, le Night Owl a été synonyme d'une certaine liberté, d'une émancipation. Mais après avoir expérimenté les cafés branchés du bord de mer, celui de Silver Grove ne rayonne plus tellement. L'odeur de renfermé, les poivrots, la déco très sommaire... Rien dans cet endroit ne l'attire désormais. Mais l'aîné Dixon, conscient de la chance qu'il a eu de pouvoir aller étudier ailleurs, ne veut pas paraître snob, aussi ne dévoile-il jamais ce genre de constatation à voix haute. Et puis, le café est toujours un lieu de rencontre, où l'on croise parfois un voisin oublié, des étrangers de passage : alors, en l'honneur du souvenir, il arrive encore au jeune homme de s'y attabler.

Il n'est pas encore dix-neuf heures, Mister Dixon a donc quelques minutes d'avance, et en profite pour dégainer le reste du sandwich qu'il a entamé sur la route. Il a passé la journée au bureau, dans une réunion épuisante avec sa chef et une partie de l'équipe de rédaction, une réunion qui l'a quelque peu affamé. Entre l'ennui et la bouffe, le parallèle est vite fait. Il espère avoir fini avant que Monroe se pointe, ne sachant pas si le gaillard a déjà mangé. Finalement, c'est quand il jette son emballage que son ancien acolyte pointe le bout de son nez. "Mec ! Ça fait tellement plaisir de te voir", lance-t-il en lui délivrant un gros hug. C'est pas une formule, c'est réel : Jeremy est vraiment enthousiasmé. Il y a eu peu d'amis avec qui il a gardé le contact une fois en Californie, et Joseph en a fait partie. "Ca taffe dur dans la pataugeoire ?", il s'enquiert. Jeremy évite de se pointer à la piscine, son épilation récurrente des jambes risquant de poser question.

@Joseph Monroe

Joe était quelqu’un de casanier. Il n’aimait rien de mieux que d’être tranquille, chez lui, affalé sur une de ses fameuses chaises de camping - du moins, celles que Lucky Miller n’avait pas encore détruites - sans voir personne ou même passer du temps avec ses soeurs - enfin, surtout Brie car en ce moment, Sadie n’était pas de la meilleure compagnie - et ses amis les plus proches sans pour autant se voir forcé d’interagir, voire pire, de converser avec de parfaits inconnus. Joe était intimement persuadé que c’était un travers mais… pas un qu’il avait envie de corriger, à vrai dire. Sa légère propension à la misanthropie avait ses raisons. Il n’était pas asocial pour autant. Il appréciait même les bavardages, mais uniquement avec les personnes qu’il appréciait. Enfin, des bavardages… Sans les nommer, certaines personnes de sa connaissance faisaient très bien la conversation tout seuls. C’était un talent que Joe admirait : lui-même, sans personne pour lui renvoyer la balle, il avait tôt fait de se taire.

Il allait sans dire que le seul garçon de la famille Monroe n’avait pas une myriade d’amis pendus à ses lèvres, néanmoins, les quelques amitiés fidèles qu’il parvenait à conserver lui convenaient amplement. Joseph avait été un petit garçon terriblement timide mais paradoxalement, la majeure partie de son cercle amical était tout droit issue de ses jeunes années : Jackie, Mal, Wes et Jeremy, avec qui il avait supporté de longues heures de sermon. Une fois qu’ils étaient devenus assez malins pour échapper à la surveillance de leurs parents, les deux gamins avaient eu tôt fait de se rejoindre à l’extérieur et de fixer le ciel en s’interrogeant sur la véracité de ce qu’ils entendaient chaque dimanche, le cul vissé sur les bancs de ces lieux sacrés. Leur amitié avait pris un tournant étrange à l’adolescence : parfaits inconnus dans les couloirs du collège puis de leur lycée, apprentis philosophes une fois leur rendez-vous dominicain entamé. Et puis, Joe avait fait son coming-out et en toute logique, arrêté de se forcer à engloutir la verve religieuse.

Une fois à l’âge adulte, Monroe et Dixon avaient naturellement gardé contact : un en Californie, l’autre à Portland, être loin de Silver Grove avait renforcé leurs liens. C’est donc pour prendre des nouvelles de ce copain qui fait à présent parti des murs que Monroe se dirige vers le Night Owl. On ne va pas se mentir, ce n’est pas le lieu le plus glamour de Silver Grove, mais c’est à la bonne franquette et c’est ce que Joseph apprécie. Il est pas compliqué comme type et au moins, au Night Owl, on le connaît et on ne lui cherche pas d’emmerdes. Tout ce qu’il voulait, c’était déguster une salade de crevettes avec une bonne bière et rigoler avec l’un de ses meilleurs amis, comme au bon vieux temps. Joseph avait franchement besoin de se vider la tête et surtout, de se distancer un peu de ses autres mousquetaires : il avait découvert bien trop de secrets ces derniers temps pour être tout à fait serein.

Jeremy lui saute dessus avec ses fameuses embrassades que Monroe a appris à supporter.
Mine de rien, c’est une bonne pâte.

Moi aussi, j’suis content, répondit-il.

D’un œil extérieur, on aurait peut-être avancé qu’il semblait manquer d'enthousiasme, mais Jeremy le connaissait suffisamment pour savoir que Joe ne donnait pas dans les effusions inutiles.

Ça y’est, les mioches sont en vacances, c’est l’apocalypse tous les après-midi, s’amusa t-il, habitué à ce que l’on pense que son boulot consiste à : ne pas en branler une.

Monroe se dirigea vers l’entrée, attiré par les effluves de cuisine typique de l’Oregon. Il ouvrit la porte en grand, y’avait pas foule pour un début de soirée.

Après vous, Mr le roi de l’actu, susurra Joseph, taquin.

Une fois à l’intérieur, Monroe se dirigea automatiquement vers le fond : il n’était pas un adepte du comptoir et des oreilles indiscrètes qui y traînaient. Il eut à peine le temps de poser ses fesses et d’essuyer une trace de sauce sur la table que le patron des lieux débarqua et leur flanqua une tape dans le dos à faire frémir un catcheur :

ALORS les p’tits gars, ça f’sait un moment ! Qu’est-ce que j’vous serre ? Ok Monroe, un salade de crevettes frites avec du citron vert et du piment, c’est noté… Ça fait toujours plaisir d’avoir un p’tit gourmet dans mon bar… Avec une bière ok... et toi Dixon ?

Une fois le colosse reparti derrière son bar, Monroe marmonna :

Putain, pas besoin d’aller chez l’kiné avec celui-là… Bon, comment tu vas ?