perdue (james)

Après m'être perdue une bonne vingtaine de fois, me voilà enfin arrivée dans la ville du dernier espoir. J'avais fait toute cette route depuis Portland avec ma vieille caisse -une Ford de 1979 qui ne démarre qu'après une dizaine de tentatives et allume les clignotants quand j'actionne les essuie-glaces-. Avec cette ville j'entretiens déjà, à peine débarquée, une relation conflictuelle d'amour/haine. Je venais de fuir les problèmes de la ville pour m'installer dans une ville posée au milieu d'une forêt, où le temps semble s'être arrêté. Pour une jeune fille de vingt-trois ans, qui ne sait rien faire d'autre de ses mains que dealer et voler, venir dans la campagne profonde des Etats-Unis ne semble pas être très séduisant mais, dès que je regrette mon choix d'avoir quitter Portland, je m'imagine aussitôt ce qu'il m'attend si j'y retourne. Je préfère de loin l'odeur des sapins que celle des squats miteux.

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9 juin 1977 - portland, oregon

J'étais assise derrière une table trop haute, trop décolorée et trop moisie. L'ambiance de cette pièce ne me plaisait pas du tout. Les sourires étaient faux, les individus étaient faux et même le gâteau était faux. Ce n'était pas Cathy Peters que je voulais en face de moi ce jour-là. Encore moins la grosse Patty Marloe du centre d'Hawthorne qui avait invité King Manford a fêter son anniversaire avec moi car le prix de deux fêtes d'anniversaire aurait explosé le pauvre budget annuel alloué pour donner du bonheur aux enfants malheureux de Portland. King -qui s'appelait en réalité Clarence- fêtait ses quinze bougies et moi mes huit. Mais à bien regarder le gâteau il n'y avait que cinq bougies probablement usagées qui ornaient la tarte aux pommes de Mrs. Peters. J'ignore pourquoi je n'appréciais pas Mrs. Peters. Elle n'était pas laide, pas grossière, pas intrusive, mais je crois qu'elle portait ce regard de pitié sur moi. Un regard que je refusais de recevoir. Alors la voir prendre une photo de moi et du vieux Manford, nous quémandant de sourire car la photo devait se retrouver sur le mur du bonheur à l'entrée du centre. En réalité ce mur du bonheur était couvert de dessins d'enfants dépressifs et de très rares photos en noir et blanc d'enfants plus tristes les uns que les autres.

Après la photo, la grosse Patty d'Hawthorne nous demanda de souffler nos bougies. Manford me laissa les souffler seule. Et on me demanda de faire un voeux. Mon cerveau me suggéra très fort de ne pas souhaiter ce que je voulais souhaiter. Mais quand on se débat dans des sables mouvants, on s'enfonce encore plus. Et cela faisait huit ans que je me débattais dans des sables mouvants. Alors, j'y pensais de plus en plus fort, jusqu'à le crier dans ma tête. Je voulais ma mère ; la même qui m'avait abandonnée une petite décennie plus tôt. Je voulais comprendre. Je voulais tout savoir d'elle. Je voulais la sentir. Je voulais la serrer dans mes bras. Je voulais connaître la couleur de ses bas. Je voulais glisser ma main dans ses cheveux. Je voulais rencontrer ses yeux. Je voulais juste ma mère.

Cette réflexion a bien dû me prendre une bonne dizaine de secondes. Cathy comprenait tout avec son regard de chien battu. Elle aurait adoré rentrer chez elle le soir, satisfaite d'avoir pu aider une gamine déprimée. Car ces gens-là ne se nourrisse que d'une chose, la satisfaction d'aider les autres. Et aussi louable que cela puisse paraître, je ne supporte pas que l'on puisse se nourrir de mon mal-être, l'utiliser comme s'il s'agissait d'une boîte de Seroplex ou d'une cure de désintox. Alors même si elle souhaitait que l'on "s'ouvre" -mot très à la mode chez les éduc' ayant un complexe de supériorité envers les psychologues-, les seuls mots qui sortirent de ma bouche étaient les suivants : Normalement c'est le voeux en même temps que la bougie, pas après. Ma froideur finie d'achever l'autre conne de Cathy.

J'avais passé le panneau de Silver Grove depuis près d'un kilomètre et je n'avais toujours pas rencontré âme qui vive. Je me sentais pourtant bien et à l'aise au volant de mon vieux rafiot. Le soleil pointait le bout de son nez et l'ambiance du lieu me paraissait accueillante malgré le brouillard épais qui me coupait la vue à cent mètres. En réalité, ce samedi matin à Silver Grove ressemblait au crépuscule tiré d'une ville sortie tout droit d'un Hitchcock. Mais moi, ces ambiances-là, c'était mon truc. Je ne vis que pour les films d'épouvante et je passe mon temps au vidéoclub de Fremont Street. Du moins je passais mon temps là-bas et j'espère que Silver Grove en possède un.

Après deux kilomètres au volant de ma carcasse, je découvris enfin une grande maison verte entouré d'un vaste jardin bien entretenu. Un vieux était assis sous un arbre. Il semblait réparer quelque chose quand soudain il me fixa avec des yeux blancs comme la lune. Effrayée je frôlai le fossé et failli perdre totalement le contrôle de mon véhicule. Malgré tout, j'arrêtai tant bien que mal la voiture. Après avoir repris mes esprits, je me retournai vers le vieux fou avant de constater qu'il n'était plus sous l'arbre, pourtant très éloigné de son habitation. Je devais certainement perdre la tête.

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7 avril 1985 - battle ground, oregon

Il faisait très chaud pour un mois d'avril dans nord des États-Unis. Les fenêtres grandes ouvertes de la vieille caisse de Franky laissaient respirer les pores de ma peau et soulageait mon eczéma. Quel fils dep' celui-là. Il démange. Il gratte. Il pique. Il rend fou. J'ai d'ailleurs toujours souhaité aux connards qui croisaient mon chemin d'en chopper de pleines plaques sur le cul. Car j'ai toujours pensé que je ne méritais pas une telle sentence ; qu'il y avait toujours pire que moi. Je ne fais pas partie de ces ploucs du centre qui pensent que leurs parents les ont abandonnés car ils étaient des enfants chiants. En fait je pense que c'est tout le contraire.

Un parent qui abandonne son enfant le fait pour une simple raison: il se sent incapable de prendre soin d'un mioche, d'un être aussi pur et innocent. Il pense qu'en le laissant aux services sociaux il aura une vie meilleure, un environnement stable et des personnes qui sauront l'aimer davantage. Evidemment, je ne serais pas en train de débattre sur le sujet si une famille de bons samaritains avaient décidé de m'adopter dès ma sortie de la maternité. Car oui, parfois, il y a des ratés. J'en suis la preuve vivante : je n'ai pas plu aux potentiels parents. Car l'adoption dans notre beau pays c'est un peu comme une immense vente aux enchères où des nourrissons deviennent une marchandise convoité. Et c'est encore ce fils dep' d'eczéma qui a certainement dû effrayer les acheteurs. Car on ne veut pas acheter un fruit pourri, ou un chien malade que l'on doit emmener chez le vétérinaire tous les mois. Donc on laisse la pomme abimé dans le bac du supermarché, le labrador aveugle à la SPA et l'enfant touché sévèrement par une maladie à l'orphelinat. Et voilà comment j'ai passé mes dix premières années à attendre seule dans une chambre d'hôpital bien crade et morose.

Je commençais à avoir très mal à la peau. Mais pour une fille atteinte comme moi, il était très important que je ne touche aucune plaque sans m'être lavé les mains avant. Sauf que là j'avais les mains pleines de sang. J'imaginais déjà une photo de Franks et moi sur la première page du journal local supportant un titre offensant les puritains. Je n'avais récolté que quelques coups et donc quelques bleus. Le sang qui avait déjà séché sur mes mains était celui de Franky. Elle avait certainement le nez cassé. Elle pleurait toutes les larmes de son corps. Malgré sa blessure, elle avait encore la force de me hurler dessus. Sa vie était terminée à cause d'une pétasse dans mon genre. Je méritais tout ce qu'l m'était arrivé. Comment une mère pouvait vivre avec une telle abomination dans son foyer. Je ne méritais pas de vivre car j'entraînais les gens dans mes débauches.

Frances McAllister était la fille de deux écossais mal dégrossis arrivé une vingtaine d'années plus tôt dans l'orégon pour rejoindre de la famille. Franky tentait de cacher ces géniteurs un peu encombrants au reste du monde. Elle allait à l'église du village tous les dimanches (elle n'allait pas à Portland dans le centre catholique), elle s'habillait avec des vêtements tout à fait raffinés et parlait avec un parfait accent américain. Elle ambitionnait de devenir la fameuse prom queen aux côtés de Bran Clayton. Sa vie était littéralement écrite vingt ans à l'avance avec une précision déconcertante dans son journal intime que j'avais eu l'honneur de lire quelques mois plus tôt. À côté d'elle, j'étais l'outsider, la mal habillée, la mal aimée, l'invisible. Et c'est donc dans la plus grande des confidences que nous entretenions, Franky et moi, une amitié un peu particulière. Je l'aimais. Et je mettrais ma main à couper qu'elle m'aimais aussi malgré mes ongles rongés, mon eczéma et ma jalousie.

Une heure plus tôt, nous avions été surpris à l'arrière d'une église par un groupe de vieilles vaches mal baisées (parmi lesquelles Judith Eperton, la femme du maire) en train de nous bécoter. Cet évènement fut le plus humiliant de ces dix-sept dernières années. Et pourtant je n'étais pas en reste ... Ces femmes nous ont dit les choses les plus horribles qu'on puisse dire à deux jeunes filles amoureuses, elles nous ont porté des coups contre lesquels nous n'avons pas eu la force de nous défendre. Aveuglée, Franks a trébuché et s'est cassé le nez sur le sol pierreux de l'arrière cour de l'église. Mais les mots de Frances dans la voiture restaient les plus dures à entendre. Car je savais que c'était là que notre histoire se terminerait, que c'était là notre dernière échange, notre dernière conversation, et lancée à plus de 100 la voiture me donnait des a-coups dans le genou, et Free Money de Patti Smith éclatait dans mes oreilles, et la chaleur était insupportable et le regard de Frances était insupportable et la route était bruyante comme le moteur et la musique et les cris de Frances et le sang séchait et mon eczéma me brulait et mes larmes coulaient et j'ouvris la portière brûlante et me voilà au sol, dans un nuage de poussière, la voiture de Franks me tournant le dos. Frances Kennocha McAllister me tournait le dos, fonça dans un arbre et mourut sur le coup.

Après plusieurs tours et détours dans cette ville plus que particulière où les gens apparaissent et disparaissent sans raison, je trouvai enfin la maison que je cherchais. Sur la boîte aux lettres était inscrit "Robert & Bonnie Morgan". J'étais bien au bon endroit. Dans la vieille maison d'une tante et d'un oncle mort un peu trop tôt. Je m'avançais dans ce qui était désormais MON allée. Je n'aurais jamais cru devenir propriétaire un jour. Encore moins à vingt-trois ans et grâce à un membre de ma famille. De plus, cette femme connaissait mon existence puisque mon nom figurait sur son testament. Elle s'appelait Bonnie Erin Morgan, née Perkins et était la soeur de ma mère biologique. Dans son testament, elle écrit : À ma tendre et chère Jamie Erin Perkins qui porte mon nom et que je n'aurais, à regret, jamais l'occasion de rencontrer, je lègue ma maison et son domaine de Silver Grove. Grognasse. J'habite à trois heures de ta vieille baraque depuis vingt-trois ans et tu regrettes de ne jamais m'avoir vu ? Et vu sa taille, j'avais largement de quoi poser mes valises dans cette maison. Elle avait un côté un presque victorien. Bon un victorien moisi mais j'aimais l'ambiance qui se dégageait de la bicoque. Les arbres paraissaient millénaires et de nombreuses familles ont certainement dû se succéder ici.

La porte d'entrée était fermée. Dans la précipitation du départ, j'avais oublié la pièce maitresse de mon voyage : les clés. Elle devait certainement encore être sur la table de nuit de mon vieil appart' (qui me manquait terriblement). Heureusement, les américains sont cons et je n'eus qu'à soulever le tapis d'entrer pour trouver un double. Le seuil à peine passé, une odeur de renfermer attaqua mes poumons. La baraque était pleine de poussière et très sombres. Après avoir ouvert quelques rideaux et allumé la radio sur du Coney Island Steeplechase de The Velvet Underground, je commençais à me projeter dans ce décor. Les grands escaliers menaient à trois chambres et une salle d'eau. Dans la plus grande, un portrait du mariage de Bonnie et Robert ornait une commode en bois foncée. À l'intérieur, des vêtements d'un autre temps, des piles usagées, des timbres du Massachusetts et un vieux tournevis. Je me demandais bien qui dans cet État pouvait connaître l'existence des Morgans. Ils n'avaient vraisemblablement pas d'enfant puisque cette maison me revenait et cette ville semble être un écrin duquel personne ne peut s'échapper.

Le dressing était lui aussi plein de vieux vêtements étonnement bien rangés. Ma tante avait trente-sept ans de plus que moi, ce qui explique nos goûts pour le moins divergents. Sur l'étagère la plus haute, je remarquai une boîte en fer avec une inscription particulière que je sortis de son repos. Dessus était le nom Mary avait été grossièrement écrit par une main tremblante ou bien celle d'un enfant. Selon le notaire, ma mère s'appelait Mary Elizabeth Perkins et était née à Harper, Oregon, comme sa grande soeur Bonnie. Elle était la fille d'Erin et John Perkins, les cordonniers de cette même ville. Elle avait disparu de la circulation il y a quinze années. Il n'a pas su m'en dire plus sur son compte.

La boîte était pleine d'effets personnels qui devaient vraisemblablement appartenir à ma mère. Elle contenait un vieux ruban rosé, des lettres, quelques billes, un certificat de naissance et cinq ou six photos. Je découvris donc pour la première fois le visage de celle dont j'avais tant imaginé le visage. Elle était aussi blonde que moi, avait de grands yeux noir profond et avait cette façon gênée de sourire qui la rendait si craquante. Je n'arrivais plus à décrocher mes yeux de ces photos. Sur l'une d'elle je découvris avec stupeur une photo d'elle portant un nourrisson dans ses bras. En retournant la photo je vis inscrit à la main "douze juin 69", soit trois jours après ma naissance. Je reposai rapidement la photo dans la boîte et je rangeai cette dernière bien au fond du placard que je refermais, avant de refermer la porte de la chambre et la fermer à double tour.

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26 mars 1992 - portland, oregon

J'avais la tête dans les vapes et je ne savais pas où j'étais. Certainement pas dans ma chambre toute pourrie. Il faisait bien trop lumineux ici. Les néons de la pièce éclataient mes pauvres iris qui n'avaient rien demandé. L'endroit était un peu miteux et sentait le gel antibactérien. À mes côtés, Shontelle me regardait avec gravité. Je compris que je me trouvais dans une chambre d'hôpital quand je sentis une perfusion bien accrochée à mon bras. Encore ce putain d'eczéma ? Mon amie me signifia d'un geste que non et je vis dans son regard que mon séjour à l'hôpital résultait d'un événement bien plus dramatique. Je me mis alors à bouger un peu tout mon corps pour vérifier qu'aucune partie de moi n'avait été amputée et je ressentis une grosse douleur au niveau du ventre. AAAH PUTAIN SA MÈRE ILS M'ONT AMPUTÉ LE VENTRE CES FILS DEP' Shon m'attrapa les bras et me dis de me taire sinon les infirmières me fouteraient en psychiatrie. Je me calmai instantanément. Elle laissa ses mains sur mon bras droit et s'assis à mes côtés. Elle me raconta tout ce qu'il m'était arrivé ces derniers jours.

Mais Shon, je vais pas élever un gosse alors que je ne sais pas m'élever mon même. Je suis pas une meuf responsable. Ils ont qu'à le garder le bougre. Il aura une bien meilleure vie sans moi. Shontelle me fit remarquer que je parlais comme ma mère (qu'elle n'avait pas plus rencontré que moi...) et que mon raisonnement ne tenait pas debout puisqu'il était aux antipodes du discours que je tenais depuis vingt-trois ans. Mais ce gosse qu'on m'avait arraché, c'est un peu comme s'il n'avait pas existé pour moi. Je n'ai jamais vécu de grossesse (j'ignorais même qu'il était possible de faire un déni de grossesse) et c'est un accident de vélo (alors que j'étais complètement bourrée) qui a déclenché l'accouchement. Au fait, il est cassé mon vélo ? Shontelle se leva et posa délicatement sur ma joue une grande gifle. Elle cria que j'avais eu l'enfance la plus pourrie de tout l'État et que c'était dégueulasse de refaire vivre ça à un enfant. Shontelle, je ne l'abandonne pas, les services sociaux me l'ont pris après avoir entendu qu'une gamine de vingt-trois venait d'accoucher complètement bourrée et possédait des antécédents judiciaires longs comme mon putain de bras. Y'a plus d'alcool dans mon lait que dans une pinte d'IPA colombienne ! Elle me fit promettre de venir chercher le petit quand je m'en sentirai capable (le plus tôt possible). Je ne dis rien. Elle se leva, énervée et avant d'ouvrir la porte. Elle dit : Franck. Je l'ai appelé Franck. Comme ton coma a duré plus d'une semaine ils voulaient attribuer un prénom eux-mêmes et je suis intervenue. J'ai pensé que ça te plairait. Une larme coula sur ma joue. C'est parfait.

Le soir même je décidai de signer une décharge pour rentrer chez moi. Sans Shontelle avec qui rire et passer le temps, je m'ennuyais à mourir dans cette vieille chambre. On m'appris que mon séjour à l'hôpital me coutera dix-sept mille dollars. Déjà que je n'avais pas assez d'argent pour me payer un appartement décent, je ne savais pas où je pourrais trouver tout cet argent.

Arrivé dans mon vieux taudis, je pris le temps d'ouvrir les lettres arrivées en mon absence. Toutes étaient des pubs pour des robots aspirateurs ou des cardigans disponibles en jaune, rouge ou noir. Et puis un courrier attira mon attention. Il provenait d'un cabinet notarial du nord de la ville. Le contenu me signifiait que ma tante venait de mourir sans héritiers et que je figurais sur son testament. Me voilà propriétaire d'une maison d'un vieux hameau miteux à l'est de l'État. Je n'avais jusque là jamais eu de chance dans ma vie et voilà que je me découvre une famille (morte mais une famille quand même) et un héritage suffisant pour éponger mes dettes. Car je n'avais pas seulement mon séjour à l'hôpital à rembourser mais aussi un gros fournisseur de MDMA. J'avais perdu plus de 1500 balles de came lors d'une soirée un peu trop arrosée. Moi qui reste pourtant réaliste quant à mon business, j'avais eu les yeux plus gros que le ventre pour cette fois-ci.

31 mars 1992 - portland, oregon

J'étais devant le notaire comme une tâche d'huile au beau milieu d'une eau limpide. De sublimes tapisseries ornaient les murs, le plafond était recouvert de dorures et le notaire portait au poignet une montre de la valeur de mon héritage. Il avait clairement autre chose à faire que de s'occuper de mon cas. Pourtant il se donna du mal à m'expliquer mes droits, la thune que l'Etat allait me prendre (et celle qu'il allait me prendre aussi). Je m'ennuyais à mourir. Je voulais juste vendre cette vieille baraque. Il me dit que le marché n'était pas très actif dans cette région. Autrement dit, cette maison est moche et située dans un coin moche. Super. Je ne pourrais pas la vendre avant longtemps. Le notaire, ne souhaitant pas me voir m'éterniser dans son bureau, me proposa de continuer la discussion avec son assistant et me présenta ses condoléances. J'ai été abandonné à la naissance, je ne la connais pas du tout. Parlez moi d'elle. Déçu de ma réponse car elle allait lui voler de précieuses minutes de son temps, il retourna tout de même derrière son bureau et me donna les informations administratives qu'il connaissait sur ma tante et ma mère. Je passais presque le pas de la porte quand il me sortit Prenez mes coordonnées. Vous aurez peut-être besoin d'un notaire quand vous déciderez de rédiger un testament. J'avais vingt-trois ans et ce vieux con me regardait comme si j'allais prendre ma retraite. Je n'ai pas besoin d'écrire un testament. Ne le prenez pas mal. Je dis juste que la vie n'est pas éternelle et qu'il n'est jamais trop tôt pour penser à ses futurs enfants.

Les mots de l'autre con ont malgré moi résonné dans ma tête. Me voilà, à quatorze heures pétantes devant l'hôpital au j'avais donné naissance à un petit garçon deux semaines plus tôt. Shontelle avait appelé l'établissement pour savoir où se trouvait le mioche. Il y avait eu de légères complications dû à ma chute qui l'avait laissé en observation quelques jours de plus. Je pense pas que ce soit une bonne idée Shon. Des dealers veulent certainement ma peau à l'heure où je te parle. Je ne vais pas mêler un gamin de deux semaines à ma merde. Elle me prit la main et me proposa de monter avec elle. À peine passer le pas de la porte, une immense angoisse monta en moi. Ma peau me grattait très fort. Prends soin de lui Shon. S'il te plaît. Et je m'échappai en courant.

Avant de rentrer chez moi, je passai par l'appartement d'un des dealers à qui je devais pas mal de thunes. Je comptais leur dire que j'avais eu une grosse rentrée d'argent sous la forme d'un bien et qu'il me faudrait quelques temps de le vendre et récupérer du cash.

J'en sortis une heure plus tard, transpirante, avec une seule mission : ramenez plus de cinq mille euros en huit heures. Je ne savais pas quoi faire. Voler les bijoux d'une famille, braquer le Diner, vendre ma caisse, ... Les idées fusaient mais aucune n'était la bonne.

Je devais m'enfuir.

J'avais des heures voire des jours devant moi. Je pris donc le temps d'observer tous les arbres que composaient cet immense terrain. Ma tante l'avait clairement laissé à l'abandon, mais on peut remarquer que, fut un temps, quelqu'un aimait donner tout son amour à ce jardin. Certainement mon oncle. En voyant toutes ces fleurs sauvages, je fus prise d'une forte mélancolie. Je repensais à Franck que j'avais laissé à l'hôpital attendre désespérément les bras de sa mère. Je n'avais pas l'habitude de pleurer à tout va. Mais entre les dealers, Franck, Shontelle, l'identité de ma mère, ma nouvelle famille et évidemment mes pensées pour Frances, je partis en sanglots. Je m'assis par terre et eu une étrange sensation sur mon bras. Une fleur était venu me le chatouiller. Et je devais faire attention à ne pas laisser mon eczéma en contact avec des corps non désinfectés. Je me relevai toujours en sanglots. Mais la gêne était toujours là. La fleur m'avait suivie. Je ne compris pas tout de suite la complexité de la situation. Putain de fleur de merde. J'allais tirer dessus avant de me pétrifier pendant quelques secondes. Mais ... qu'est-ce que ? ... La fleur ne s'était pas accrochée sur un de mes vêtements ou n'était pas tombée sur mon bras. Elle faisait partie de mon bras. Je décidai alors d'enlever mon haut. Putain de merde. Mon corps était couvert de fleurs. Et même si le spectacle pouvait être esthétique, il n'en était pas moins effrayant. Je commençais à frotter de toutes mes forces dessus à crier dans tous les sens et me débattre contre ces plantes intrusives quand une main vint se poser sur mon bras. Bienvenue à Silver Grove.