girl, you ain't Snow White (maya)

Ça recommence. D’abord, la rage feinte. La mâchoire qui se crispe, les ongles qui s’enfoncent dans la chair de la paume. Les Masbat se préparent à l’affrontement. Le garçon se fait plus petit, son éclat s’éteignant peu à peu pour laisser l’ombre des deux autres grandir. Les joutes verbales sont monnaie courante dans la demeure du maire. Sa fille n’en fait qu’à sa tête et met tout le monde dans l’embarras par son comportement inapproprié. Elle s’est encore battue, la gamine. Un type qui l’a regardée de travers, un poing qui a volé en direction de son nez. C’est presque devenu une danse, une mélodie qui se répète inlassablement. C’est qu’elle a le sang chaud ; elle recherche la confrontation constamment. Son corps qui se tend et qui attaque est son arme, la seule façon de montrer son désaccord.

Et le paternel l’attend, toujours, au beau milieu du salon quand elle rentre le soir. Il est le premier au courant de ses frasques et elle s’en réjouit. Alors les béliers s’affrontent et ça dure, longtemps, sans qu’on ne puisse désigner de gagnant. La plupart du temps, elle se réfugie dans sa chambre en claquant la porte, sans cesser de vociférer. Ce soir, elle a fouillé dans un tiroir pour en extraire une lampe de poche, et s’est enfuie.

La nuit est salvatrice. La neige aussi, glacée, qui calme ses ardeurs. Un gros pull et une veste, c’est tout ce qu’elle a pour affronter les éléments. Ça sera suffisant, hors de question qu’elle ne rebrousse chemin pour prendre la peine de se vêtir autrement. La fierté est plus puissante que l’instinct de survie, dans ce genre de moments.  

Ses fidèles chaussures de sport s’enfoncent dans l’épaisse couche de neige et l’humidité vient bientôt lui chatouiller les orteils. Elle n’y fait pas attention et conserve une allure téméraire, alors que les arbres se dressent devant elle. Elle dépasse bien vite l’orée de la forêt, là où les branchent se cambrent, menaçantes. Elle sent une présence non loin et son assurance se fait la malle quand elle entend un cri. Quelqu’un semble l’interpeller et elle se fige. On l’a suivie. Elle pense d’abord à son jumeau, s’inquiète, puis se calme ; jamais il ne serait sorti la retrouver, parfaitement conscient de son besoin de se calmer avant d’affronter qui que ce soit. Alors, la lampe dans une main, l’autre prête à cueillir l’inconnu, elle se campe bien solidement sur ses pieds. Son assaillant ne s’en sortira pas indemne, elle s’en fait la promesse.

Néanmoins, l’entente de son prénom la déstabilise et elle a la présence d’esprit de plisser les yeux pour tenter d’identifier l’homme avant d’attaquer. Alors son poing se desserre, ses épaules se relâchent. "Jeremy?" Elle s’est attendue à tout : son frère, un gosse paumé, son père, ou même un taré… Mais au reporter qu’elle a toujours connu mais rarement fréquenté, pas vraiment. "I… just wanted to go out for some fresh air." Elle se retourne, quitte le jeune homme des yeux pour reporter son attention sur le sentier encombré de neige qu’elle s’apprête à emprunter. "It’s OK, you don’t have to follow me. It’s cold here." Elle paraît seulement s’en rendre compte. Malgré sa détermination à s’aventurer dans cette forêt qui respire le calme et la sérénité, elle ne reprend pas sa route. Peut-être qu’elle aurait bien besoin d’un peu de compagnie, finalement… "What are you doing outside?"