Un désespoir que je vous dérobe

Ce cauchemar-ci est épais, perclus de cris dès que je tourne la tête pour oser m'y perdre, à gauche, à droite, sous-moi, avec les anges, ça se lamente, ça beugle, ça gronde... On dit que le silence est un labyrinthe; pourtant ici, les hurlements sont si forts que j'en suis figée. Où est la sortie de cet endroit terrible ? Je ne veux pas rester. Pourtant, j'y suis obligée. Je crois que je n'ai pas accompli ma mission. Quelle mission ? Je voudrais un miroir car je sens que je glisse en moi, c'est une pente que je ne remonterai pas. A quatre pattes peut-être, mais cela fait longtemps que je ne m'agenouille plus. L'autre femme qui est en moi me griffe les intérieurs. Il fait nuit. Elle a la dalle. Elle n'a même pas faim. Cette envie de se délecter des hantises des autres est bien plus vitale qu'un simple estomac un peu trop creux. Le fiel l'emplit jusqu'aux veines; la créature de nuit que je deviens parfois est une dévoreuse de craintes.

Et celle que je visite actuellement réveille sa terrible gourmandise.

Alors je la laisse me recouvrir de pénombre car je ne veux pas assister à son festin. Surtout, je ne veux pas avoir mal, ployer sous le poids des peurs d'autrui. C'est un véritable fardeau... Pourquoi moi ? C'est une punition stérile - si châtiment il y a - car chaque matin, je me réveille vidée de ma mémoire. Alors, pourquoi faire de moi un martyr, si la leçon n'est jamais comprise ?

La personne qui cauchemarde doit être particulièrement troublée. Son rêve est une pièce noire. Curieusement, je peux en voir les limites, murs faits de mousse en putréfaction. C'est répugnant. Les voix continuent à hurler, de partout. J'aimerais me dire que ce rêve n'est rien d'autre qu'un mauvais concert de punk, mais je sais bien que non.

- Ohé ? J'interpelle, me voici maîtresse des lieux. Est-ce qu'il y a quelqu'un ?

Ce rêve est mien maintenant. Je l'emprunte et je le sacrifierai. C'est comme mon destin, dirait-on.