all i ever wanted, all i ever needed (marlen)

i. please introduce yourself.
l’oesophage et les narines qui brûlent, les cheveux emmêlés qui collent à son front (cheveux qu’il prend jamais la peine de coiffer de toute manière), les taches de rousseur qui se révèlent sur ses épaules et ses cuisses. marlen, il dit qu’il court depuis toujours. c’est pas vraiment vrai, mais presque. il est drogué au sport, il a besoin de ça, de courir jusqu’à ne plus sentir ses pieds, jusqu’à ce que ses pensées se désagrègent au vent, et qu’il ne reste rien de plus que le sol et les battements de son coeur. l’extase.

marlen il connait pas grand chose sur son père. son prénom (eugene), que sa mère substituait toujours pour la version russe (evguéni). le fait que c’était un journaliste. c’est tout. apparemment ça ne l’a pas dérangé qu’une femme quitte son pays pour lui, un pays pas du tout prêt à l’accueillir, mais un enfant, ça oui. ça foutait en l’air ses plans de vie, il parait. et selon certaines vilaines langues, c'est qu'il voulait pas que ça se sache, qu'il était un traître.

marlen il est complexe et il est simple. il a des goûts d’enfant, il aime les films d’action, mettre de la musique avec la basse à fond, la bouffe de sa mère. et la nuit il se torture l’esprit avec des questions existentielles, alternant de langue à chaque pensée. et parlant de la nuit, il parait qu’il parle dans son sommeil. ses cordes vocales inutilisées, qui semblent pourtant bien déterminées à ne pas vouloir tomber dans l’oubli. et marlen il déteste ça, parce que s’il peut pas entendre sa propre voix, alors personne d’autre n’a le droit. c’est peut-être égoïste, qu’il se dit parfois.


ii. mean streets of silver grove.
à un moment, sa mère a juste décidé de quitter portland. comme ça, du jour au lendemain, à bord de sa vieille voiture d'occasion. elle a roulé et roulé, jusqu'à échouer ici. et c’était y’a longtemps, très longtemps sans doute, il devait avoir à peine trois ans, parce que lui il n’a aucun souvenir qui ne soit pas à silver grove. trop jeune pour que portland se grave dans sa tête, silver grove c’est tout ce qu’il a connu. alors il a pas grand-chose pour comparer.
elle est paradoxale, silver grove. marlen des fois il a l’impression d’étouffer, et parfois il y trouve une étrange sensation de liberté, les lois de la nature s’altèrent, les barreaux de la cage se dissolvent.

iii. we're all mad here.
le bouton du volume coincé quasiment à zéro. le même effet qu’avoir la tête plongée dans l’eau en permanence, tandis qu’on tente de l’interpeller de la surface. il ne distingue plus les sons, rien que ceux qui sont très forts, et encore là, impossible de lui arracher un air de surprise. c’est arrivé durant l’année de ses trois ans, peu après son arrivée à silver grove avec sa mère. aucune explication, fallait juste se faire à l’idée que le gamin qui maniait déjà deux langues n’aurait plus l’occasion d’entendre leurs subtilités. et comme sa vie avant silver grove, marlen n’en a aucun souvenir. il ne se souvient pas de comment c’est, entendre, entendre comme il faut. rien que le grondement des vagues artificielles dans son cerveau.
il faudrait juste s’y faire. et il s’y était fait, au final. après s’être refermé, après avoir passé des journées entières sans interaction humaine parce qu’il était trop crevé pour s’épuiser à lire sur les lèvres des autres (il aimerait bien qu’on lise sur ses doigts à la place, pour une fois). mais malgré tout, marlen il se dit que tant qu’il arrive encore à entendre le bruit du pistolet sur la ligne de départ, il pouvait bien supporter le reste. (et si son audition devait diminuer encore… il préférait ne pas y penser). y’a ça. mais aussi, y’a le fait d’être toujours au calme. même si le chaos et la cacophonie lui font envie parfois, il n’échangerait pas ce sentiment qu’il a quand il court dans la forêt ou bien qu’il s’assoit au bord du lac, et qu’il n’y a rien. rien d’autre que le silence.
et bien que ce ne soit que ses oreilles qui ont arrêté de fonctionner, marlen s’est très rapidement tu. c’était trop déstabilisant de ne pas pouvoir s’entendre parler, de sentir ses cordes vocales vibrer sans le son associé.
[perte d’audition modérée-à-sévère, dégénérative; considéré comme sourd]

iv. something strange in the woods.
c’est comme une mauvaise blague. il s’était habitué à son silence cotonneux, fait à l’idée que les mots n’étaient qu’un lointain souvenir pour lui. mais évidemment ça aurait été trop simple, trop simple de juste oublier, de ne pas savoir.
des fois c’est juste un sifflement. quelques secondes, agaçant, déroutant, dérangeant. il l’avait au début pris pour un symptôme de son ouïe qui continuait à disparaître petit à petit. puis il y avait eu les paroles. distordues, comme provenant d’une chaîne de radio trop lointaine pour être captée par l’antenne. quelques mots, quelques phrases tout au plus qui viennent rompre le silence, s’immiscer dans ses tympans. ça n’arrive pas tout le temps. c’est surtout quand il broie du noir, trop occupé à plonger dans ses pensées, qu’une voix désincarnée décide de l’extirper de là. les voix changent tout le temps d’ailleurs. des fois, elles parlent même dans des langues qu’il ne reconnaît pas, et parfois c’est juste une suite de mots, sans sens. au début, il était toujours trop occupé à sursauter pour faire attention à ce qui se disait. maintenant, il le sent, y’a quelque chose qui change dans l’air juste avant que ça ne se produise. ça le fait frissonner.
et il trouve ça cruel, marlen. cruel de lui rappeler ce que c’était que d’entendre, juste pour quelques secondes, avant de le laisser replonger dans le silence. [clairaudience; il peut entendre/recevoir des messages des morts/des esprits/de l’au-delà en somme.]