there's something on yo face... IT WAS PAIN

(1984) "Joooooooseph" Brie tapa du pied avec une fougue surprenante dans les lattes du lit superposé, assez fort pour le faire grogner de douleur. "Putain Brie, merde, tu fais chier, tu sais très que j'ai des bleus, bordel !" Moment de flottement. Ses ecchymoses se rappelaient à lui d'un commun accord et il finit par rouler sur son flanc pour obtenir un peu de répit. "... désolée" finit par chuchoter sa sœur d'un air contrit absolument pas convaincant. "Descends, je convoque un conseil de famille." Elle vit apparaître les yeux menaçants de son frère, à demi obstrués par d'épaisses boucles blondes. "Au risque de me répéter, tu es ridicule avec tes conseils de famille. On est deux, bon sang. T'as qu'à juste me dire, Joseph, faut qu'on discute." Paradoxalement, plus l'heure était tardive, plus l'adolescent était loquace. " Oui, mais l'occasion est particulière, genre, vraiment." répliqua du tac au tac l'aînée en se glissant hors de ses draps. "C'est toujours, genre, vraiment particulier et important , avec toi." Joseph se tortilla dans son lit pour enfiler son pantalon de pijama. "Respecte ton aînée. Hé, qu'est-ce que tu fous ? On dirait que le lit va s'effondrer ?" "Je remets mon froc, c'est tout." "Tu sais que jt'ai déjà vu à poil ?" "J'ai pas envie que tu m'voies en slip, c'est normal, non ?" Le silence se fit durant quelques secondes, mais Joe restait sur ses gardes. La bataille fraternelle pour le dernier mot était loin d'être terminée. "Oh... tu as fais un rêve cochon. Tu sais, ça arrive. J'veux dire, t'as quand même quatorze ans mainte..." "BRIE !" "Okay, okay, pardon." Joseph leva les yeux au ciel -enfin, au mur- en l'entendant glousser comme une gamine bien heureuse. Il connaissait bien sa soeur et pouvait presque entendre son sourire naïf couler sur ses lèvres rouge cerise. Bonheur visqueux au bord de l'effondrement, amusement de façade et véritable préoccupation qui menaçait d'engloutir la figure exemplaire de la famille Monroe. "T'as pas trop mal, ça va ?" Joe détestait mentir, mais il ferait aussi n'importe quoi pour que Brie garde son sourire. Le choix était donc facile. "Non."

De mauvaise grâce, Joe accepta de descendre. Habituellement, il se contentait de sauter depuis le lit, ça l'faisait marrer, mais il n'avait pas envie de se prendre une autre dérouillée. A l'instar de ses instincts d'ado rebelle et geignard, son endurance physique avait rencontré ses limites depuis un bon moment déjà. Brie était d'ors et déjà installée en tailleurs, enroulée dans sa couverture et semblait trépigner d'impatience. "Tu sais que tu aurais juste pu m'appeler." "Nan, tu m'aurais ignorée. Ce qui est très malpoli, soit dit en passant." "Je tiens à mes huit heures de sommeil par nuit, c'est compréhensible, non ?" "Gna gna gna." "Imbécile." "Grosse nouille." "Gros ? Tu trouves que je suis gros ?" "Roh, commence pas avec tes complexes à deux balles, macho man. BREF. Passons à l'ordre du jour." "On peut pas vraiment causer d'ordre du jour. Il est minuit passé." "... Seigneur que tu es rigide." Joseph ne répliqua rien et se contenta de croiser les bras. "... tu n'es gros, Joe. Je sais pas comment tu t'es mis cette idée en tête." Il était évident que le foyer des Monroe n'était pas un endroit où l'on apprenait à s'aimer en toute sérénité. Brie étira ses longues jambes faiblement éclairées par la constellation d'étoiles en caoutchouc qui peinaient à rester collées au mur. Quant à Joe, il était indécis quant à la manière dont il devait positionner sa silhouette trapue. Il finit par se reposer sur ses coudes en attendant que Brie ne relance la conversation.

"Bon. J'ai entendu Papa. Il était au téléphone." Joe retint une réplique particulièrement bien sentie sur l'étrangeté absolument rocambolesque de cette situation pour le moins... parfaitement banale. "C'était les services sociaux." "Comment ça ?" Brie avait beau avoir tendance à tergiverser, elle avait piqué la curiosité de son frère en quelques instants. Joe voyait déjà le pire arriver. "Papa a été dénoncé ?? Par qui ?? On va être séparés ? On va devoir quitter Papa ?" Le garçon s'était redressé et ses yeux habituellement mornes brillaient d'une panique toute nouvelle. Il avait l'air d'avoir perdu une décennie en cours de route. Joe était comme tous les gosses : il entretenait des sentiments ternis et étranges envers son père, en avait terriblement peur, mais l'aimait et aurait fait n'importe quoi pour obtenir l'approbation - l'idée même d'une preuve d'affection était pitoyable et inenvisageable- du colosse aux mains-tempête. "Non, ne t'inquiète pas." Brie posa sa main sur sa joue hâlée et Joe devina son sourire dans l'obscurité latente. Brie souriait toujours. Quand le monde s'effondrerait, Brie rirait. "Je...Tu vas rire. Sûrement. C'est le genre de truc qui te fera marrer." "Ben...dis. Y'a pas à tortiller du cul pour chier droit." "Ton langage, Joseph." "... pardon?" "On a une nouvelle sœur. Qui arrive. Demain. D'Europe. Sa mère est tarée. J'crois que c'était une pute. (Comme les nôtres, peut-être, c'est ce que Brie n'ose pas dire) Elle parle pas un mot d'anglais.

Joseph cligna des yeux, pris de court.
Il ne s'attendait vraiment pas à ça.
Il se mordit la lèvre, son visage se froissa lorsque les prunelles de Brie se mirent à pétiller comme les sodas qu'il aimait tant, celle-ci baissa la tête, glissa ses mains dans ses cheveux et les deux adelphes s'écroulèrent au sol dans un fou rire impossible à contenir.

On aurait dit que deux otaries faisaient un show endiablé sous la lune.
"Seigneur..." "Bordel de merde. Papa doit l'avoir tellement mauvaise." "Je sais... il est pas croyable." "... il doit avoir un pénis magique." "JOSEPH." Une larme solitaire coula sur la joue de Brie tandis que Joseph se tenait le bide, tentant vainement de rire silencieusement. Soudain, la porte claqua contre le mur et Brie comme Joseph se turent immédiatement. "Non mais c'est quoi ce bordel ? Vous vous prenez pour qui ? Putain, Joseph, t'es un crétin congénital ou quoi ? Il faut que je t'en mette combien pour que tu comprennes qu'ici, ça file droit ? Et toi, Brie ? Montre l'exemple, putain, tu sers à quoi ici, à part papillonner comme une abrutie ?" Leur père éructait. Il n'y avait qu'une seule personne qui avait le droit de faire du bruit dans leur maison : lui-même. Quelqu'un avait déglutit assez fort pour interrompre la tirade et Joseph n'était même pas en mesure de dire qui avait osé troubler le discours du patriarche. "Vous me répondez ou il faut que j'en cogne un pour faire parler l'autre ?" Joseph prit les devants, chevaleresque. La pauvre Brie était pétrifiée. "Pardon, Papa. J'ai fait une terreur nocturne, tu sais... Brie m'a remonté le moral." Son père secoua la tête, dépité. "T'es vraiment une sacrée pédale, Joseph, j'ai du mal à croire que tu partages ne serait-ce qu'une once de mon ADN." Le daron avait beau être un blaireau de première, il avait néanmoins une verve particulièrement piquante. "Le prochain qui moufte, il passe la nuit dehors, c'est compris ?" Hochement de tête simultané. Claquement de porte. Joseph et Brie échangèrent un regard. "...je plains notre future sœur" commenta le plus jeune avant de repartir se coucher, totalement dénué de l'espoir de s’endormir avant le petit matin.

(1992) 6 cafés par jour (moyenne basse), plus de quinze heures de sport par semaine (une addiction discrète), au moins un sudoku par jour (difficulté diabolique, sinon, il s'emmerde), compte toujours de tête, ne lit et n'écrit jamais s'il peut l'éviter (y'a t-il vraiment une logique dans l'orthographe ?), n'a plus que trois points sur son permis (vous saviez que vous pouviez en perdre à cause d'un bras d'honneur ?), uniquement cinq couleurs dans sa garde-robe : bleu, blanc, gris, noir et prune, travaille à la piscine depuis le 17 février 1990, compte en banque négatif, trouve la Fire Fighter très moche et ne s'en cache pas, une bande de copains attardés (heureusement que Jackie est là) un père qui perd la boule, une sœur en pleine crise d'ado et 3 mois avant ses prochains congés.