uncertain smile (seth)

i. please introduce yourself.
(éternelle douceur) Naissance 30 Août 1968, sept heures sept, sexe: garçon, cheveux: bruns, yeux: marrons? bleus?

Il a tenu la main de son père au premier jour, s’y est agrippé fort. Né d’une maman qui ne voulait décemment pas en être une, il a regardé les chaussures cirées du brave Ferguson, alors père célibataire plus que le ciel tout bleu première fascination des têtes blondes. Ça n’a pas été dramatique. Les géniteurs de Seth ont été amoureux au lycée, eu un rapport non protégé, sont passés par les claques parentales et les disputes isolées par l’épais béton du garage familial. A dix-sept, dix-huit ans dans ses adidas toutes molles, Ferguson expirait d’un sanglot arrêté. Il était le papa de quelqu’un sans vraiment vouloir en être un.

Le fait est que Seth, d’un prénom monosyllabique donné par sa grand-mère grandit entre pulls tricotés et assiettes de cookies, verre de lait sous le sapin pour Noël, entre paires de lunettes pour vue minable et mouvements circulaires dans le dos pour dire « je t’aime », entre devoirs faits sur les chaises du dispensaire et banquets de Silver Grove organisés par la famille. Car il faut savoir que… les Ferguson sont une bande de généreux, ils donnent sans cesse, normal ils sont riches comme Crésus. Seth donne beaucoup lui aussi. Non pas qu’il ait à le faire mais il a une chance monstre aux billes, il ramène les calots par dizaine, il échange ses autocollants à la récréation, il fait lui aussi de petits cercles sur le dos de ses copains pour les réconforter.

Seth voit se garer la cinq places de « Maman » dans l’allée, elle n’a pas la tête de la femme dans l’album du lycée de 58, à dix ans ou à douze quand son père le traîne par la main en rentrant des réunions parents-élèves. Il n’est plus seul, il a une petite soeur, c’est important de parler d’elle d’abord et une belle-mère. Ou Maman puisqu’elle préfère qu’il l’appelle comme ça. Seth ne plisse pas le nez, ne regrette pas un monde sans « sa mère à lui » de toute manière il ne sait même pas si elle est brune ou blonde ce qui lui parait logique. Il vit dans un foyer qui techniquement n’a jamais été reconstruit puisque avant Papa n’était pas marié.

Longtemps c’est abstrait le concept de mariage mais aujourd’hui Seth Anthony Ferguson comprend tout à fait. D’abord c’est une promesse, aussi insignifiante semble la main tenue dans le couloir à quinze ans, c’est une promesse. Ensuite c’est un contrat, ça ne se déchire pas, pas plus qu’une relation. Puis c’est une alliance, ça se passe au doigt certes, mais ça va avec un partenaire, et quelques fois il faut se demander si on a vraiment eu cette veine, si on est chanceux à ce point. Parce que c’est aussi les hauts et les bas. Les hauts, l’espèce de détachement de tout ce qui pourrait venir obstruer l’ensemble, les silences agréables, les nuits interminables à parler de l’enfance et surtout du futur. Les bas, quand on se tient à la surface en ayant conscience de pouvoir aller vers le fond, les sorties en voiture marquant la fin de l’année 91, elle appelle poétiquement ça le début de la fin.

Il aurait aimé dire (ça lui arrivait du moins, mais il n’était pas comme ça) que son histoire méritait de donner naissance à un enfant, ou au moins à un bouquin ou à un film. Mais vraiment pour Seth, tout devient remarquable après la tromperie.
Tromperie, trahison, disgrâce, chute, largage, dispute, séparation, appelez-ça comme vous voulez. Avant Seth était à marée basse, désormais il monte.

ii. mean streets of silver grove.
(naked and wasted) Ferguson c’est écrit sur la blouse blanche du plus charismatique des quatre. Ferguson c’est aussi écrit sur une boîte aux lettres, sur un casier judiciaire dont on préfère taire l’existence, sur une porte coulissante entre « CUCKOLD » et « BASTARD ». Ferguson et Silver Grove ça n’est pas séparable, ils sont beaux à regarder, peut-être un poil vénéneux mais à hauteur de quelques orties. Elevés dans le banal et distributeurs de décence. Bons chrétiens même. Ferguson, c’est l’espoir que les générations suivantes aient ce petit charme de rien du tout faisant la différence. Pourtant malgré la légende racontée de père en fils, de demi-soeur à demi-frère, Seth Ferguson est le garçon placardé dans une grande maison pour lui tout seul sous des draps qu’il collectionne d’une conquête à l’autre, dans l’espoir de se divertir par l’odeur et non pas par amour. C’est le gentil garçon que la fiancée a abandonné sur l’autel. Le mariage avorté. L’amour perdu. Quoiqu’au départ il est persuadé que Silver Grove n’a fait que lui donner ça, de l’amour. La boue commence à sortir des caniveaux, ça n’est pas négligeable mais pas alarmant non plus.

iii. we're all mad here.
(tampon encreur, absorption de la personnalité) Du simple sentiment de parallélisme dans un lit partagé dans l’adolescence avec sa soeur, en passant par les coups de génie aux examens dans son cerveau fébrile, le garçon en manque d’attention remarque que la chair de sa chair est contagieuse. Le jeune Ferguson, d’un naturel calme, modéré, devient tout d’un coup flamme, agitation. Plus il est proche de sa cadette, plus il en vient à se confondre dans son humeur du moment. Elle est colère, il l’est tout autant, voire davantage.
La compagnie de l’un influe sur l’autre, il remarque, quand elle se met à chantonner dans les moments de silence, quand elle perd au sourire une pique pour y gagner un coeur. Eux deux n’étaient pourtant jusqu’alors pas si inséparables, mais la fusion semble certains jours inévitable.
Parfois ils ne sont plus tout à fait les mêmes, parfois elle est lui, il est elle.

Ferguson, au primaire mettait de la colle si bien et si fort sur son cahier qu’il y retrouvait des bosses. Il est autant glué à sa famille, il est loyal, casanier même, il ne veut pas se détacher d’eux. Petit il retirerait la pâte séchée de ses doigts en suivant ses camarades des yeux, son fort esprit de communauté l’empêche d’évoluer seul, sans meute il n’est rien du tout. C’est son lien tangible avec autrui qui le fait assimiler les détails, il aime s’auto-contaminer autant que les bambins prennent un malin plaisir à mettre tout et n’importe quoi à la bouche. Quitte à absorber les microbes.


iv. something strange in the woods.
(le caméléon, mimétisme social) Depuis tout petit, Seth suit tout ce qu’il aime avec fidélité. Un ruban rose dans les cheveux pour commencer à reprendre un personnage chantant à la télé, le vernis de sa mère un autre jour, le petit est sans doute contrarié, les expressions fracassantes de son père répétées au dîner. Des lubies de mioche, note un psychiatre plutôt maussade. « Non, docteur, ça le fait vivre. Il ne vit parfois que par ça. » C’est une confidence, un murmure honteux. Sans doute ce qui lui a donné ce rire indélébile, un oeil très clair, identifiable, car tout le reste peut changer, s’adapter pour son confort. De sa tenue à ses mimiques, de son parfum à la teinte de sa bague d’humeur, Seth est multicolore.