Il y a quelques jours…
- Oh, tu veux aller si loin ?Qu’il a demandé, dans l’abri de bois, au chaud entre les nervures des murs recouverts de pins tronçonnés.
Dans l’air, quand il entre dans l’abri de bois, il sent toujours l’odeur des vieux résineux enchantés et il entend les craquements bruts, bilieux, secs des arbres tombés et bafoués.
Dans le sol à travers ses semelles, quand il pose ses pieds dans l’abri de bois, il sent toujours les entrailles rocailleuses de la terre et les roulements sourds des laves noires enterrées.
Et comme tous ses rêves des sens, il le partage sans le vouloir (*)
Et il s’est senti fondre de surprise douce devant cet Autre qui voulait sortir de l’abri de bois pour aller si loin, si haut, si froidement dans les nuages hautains. Il a souri très blanc, très fossette.
Peu d’âmes osent s’aventurer dans la montagne, sur plusieurs jours. La lune des hauteurs doit leur faire peur. Pourtant la lune n’est pas toujours mauvaise. Et parfois même, elle est berçante et amie. Il suffit de ne pas la mettre en colère. De ne pas faire de grands bruits ni de grands gestes. Mais cela, les hommes ne le comprennent pas. Les hommes ne sont plus habitués aux caprices nocturnes des astres plus forts qu’eux.
La voix de Julian a pris des graves ensommeillées, venues du fond de ses pensées tendues vers le futur, du fond de ce qu’il connaissait le mieux : les élévations et leurs sentes, les pierres et leurs sinuosités.
- C’est tout possible. Il y aura une halte au logis rouge… et des duretés. Tu veux aller si loin, si fort…
Au pays des loups argentés
Au pays des bêtes blanches mangées…
Le jour est arrivé. Et le soir, aussi. La marche fut facile jusqu’au gros rocher. Mais les ombres, autour, et la forêt sombre. Cela vit sous le couvert des aiguilles de pin, et cela gît dans les consciences abandonnées. Les pieds se posent sur la caillasse, le monde se fait onde. Les bruits de la forêt et de la montagne emmêlés, frôlent les peaux et les paupières glacées.
Le froid a emprunté la brume des hauteurs et tout est tombé. La vue est devenue grisaille, la sécheresse est devenue aqueuse. Une infime, imperceptible, pellicule d’eau sur les gens et les choses, les bêtes et les forêts.
La marche devient plus dure. Il faut lever les genoux plus haut, comme les regards. Il faut oser toucher les aspérités des pierres. Et braver les gestes des nuages, là-bas dans le ciel, qui grondent de voir deux humains s’approcher de leur ciel.
Cela tonne, soudain.
Cela aveugle.
Le tonnerre et un éclair.
Il faut faire vite, contre la vitesse de la colère du ciel. La météo n’avait rien prévu de tel, mais les hommes ne savent pas grand’ chose des volontés des grandeurs et des hauteurs. C’est une malice ou un traquenard ou un caprice de la nature. C’est là, c’est tant pis, c’est comme ça.
Ils apprendront à survivre dans les humeurs des songes dantesques. Et puis, Julian est habitué, connait, Julian est un cabri des ombres rêvées.
La pente est dure. Il a prévenu. Il y a des duretés.
Il se tourne vers l’Autre, il se penche, il tend la main, une main douce et pourtant recouverte de cicatrices. Il faut se hâter. Trouver le logis rouge, aux murs concrets et couleur sang, qui protègeront contre les frémissements des bêtes qui vivent ici, loin des hommes et de leurs maisons cocons.
- Prends-ma main.Touche-mes doigts
Rencontre mes cicatrices
Envole-toi dans le rêve noir de la montagne
(*) la capacité de Julian est décrite en spoiler
- Spoiler:
Extrait de la fiche
Chez les autres et chez lui-même, dans un rayon de dix mètres autour de son corps, il suscite les rêves communs et timides, les rêves qui se glissent dans les rides de la réalité. Les ombres abritent des relents de mémoire, les éclats des couleurs vibrent des regards imaginés. L’autre et lui se rencontrent dans un espace de rêve conjoint, sous-jacent à la réalité. Alors l’autre et lui perdent un peu (très peu) pied, ils restent sur la pointe des pieds, le bout des doigts, dans le monde réel et dans la rencontre brumeuse.
Julian, lui, ne peut jamais y échapper. Son âme est le centre des rayons des rêves et il a appris à côtoyer les fausses images et les vrais rayons de lumière tout en même temps.
Il n’y a pas contrôle, de volonté, juste une intensité qui se module au plus près des émotions de l’autre et de Julian.
Souvent, ce sont des cauchemars qui remontent dans les airs et dans les sens. Parce que les hommes sont de plus en plus tristes, nerveux, angoissés, haineux. Parce que Julian a le contact inhabituel et l’épidermie en jachère.