Julian

i. please introduce yourself.
Il est le second fils, le plus léger, le plus nuage.
Depuis sa naissance, la réalité lui est sans substance et ses yeux grands ouverts pour attraper tous les atomes de la concrétude – qui s’échappe…
Il a les pulsions douces, les pulsions spontanées. A travers le conte qu’est le monde, il ose ses envies et ses gentillesses.
Ses doigts agiles sur la terre, les pierres, la rocaille. Quand il touche, il conçoit, attrape, réalise, comprend.
Il aime son grand frère, sa mère, son père. Il aime quand il risque. Le risque créé, il boude. Quand c’est plus grave, il tranche, parfois, de ses mots issus d’entre ses dents.
Il panique. Au milieu des enfants, des adolescents amassés.
Alors pas de diplôme carré, pas d’angles de papier.
La formation de guide, au plus haut, au plus froid, de la montagne. Ça, il sait faire.
Il collectionne, amasse, les choses petites et belles et tendres. Il cache ce qui est différent. Un os trouvé dans la montagne, un bijou rouge sous une pierre bleue, ce qu’il trouve et qui est différent, il cache. Le monde est trop cruel avec ce qui est différent. Alors il cache.

ii. mean streets of silver grove.
Né à Silver Grove, d’un homme et d’une femme nés à Silver Grove, Julian a ses racines dans les forêts et les montagnes qui entourent les constructions humaines. Il se sent comme la brume qui descend le soir et les jours d’hiver, il est là au chaud, petite présence habituelle, froide et à peine perceptible par les habitants de la localité qui le voient et ne le voient pas en même temps.
Pour lui, les hommes sont des petites étoiles qui percent sa brume de lumière-aiguille, de lumière douce, de lumière inquisitrice, de lumière indolente. Les étoiles minuscules qui troublent son existence deviennent parfois des soleils brûlants, parfois des lunes poudreuses.
Il n’a plus peur, depuis qu’il a quitté l’école, des rencontres avec les centres de lumières venues d’ailleurs.

iii. we're all mad here.
Son cerveau est entre rêve et réveil. Il a appris, à force de songes percutants et d’onirisme bousculant, à éviter les couleurs qui avancent vers lui, les contours et les angles qui le frôlent, à tourner la tête (ces muscles, là, sous les yeux, derrière la nuque, sous les cheveux, qu’il faut crisper) vers les bruits qui strient les tympans et il a appris les mots, moins que les gestes, mais il a tout de même appris les sons et les syllabes qui ont des effets d’ondes sur les autres et sur lui par ricochet. Il a appris que les mots sont des perturbations ondoyantes, qui traversent les gens et qui ne laissent aucune trace dans les rêves.

iv. something strange in the woods.
Chez les autres et chez lui-même, dans un rayon de dix mètres autour de son corps, il suscite les rêves communs et timides, les rêves qui se glissent dans les rides de la réalité. Les ombres abritent des relents de mémoire, les éclats des couleurs vibrent des regards imaginés. L’autre et lui se rencontrent dans un espace de rêve conjoint, sous-jacent à la réalité. Alors l’autre et lui perdent un peu (très peu) pied, ils restent sur la pointe des pieds, le bout des doigts, dans le monde réel et dans la rencontre brumeuse.
Julian, lui, ne peut jamais y échapper. Son âme est le centre des rayons des rêves et il a appris à côtoyer les fausses images et les vrais rayons de lumière tout en même temps.

Il n’y a pas contrôle, de volonté, juste une intensité qui se module au plus près des émotions de l’autre et de Julian.

Souvent, ce sont des cauchemars qui remontent dans les airs et dans les sens. Parce que les hommes sont de plus en plus tristes, nerveux, angoissés, haineux. Parce que Julian a le contact inhabituel et l’épidermie en jachère.

Ce sont les parents, en premier, qui ont compris. La mère et le grand frère ont les mêmes étrangetés. Le père a l’étrangeté qui les contre, celle de tuer les rêves.